aussi simplistes, et ne pouvaient pas l’être. Avec leur esprit moins rationnel que le génie grec, plus positif et plus pratique, ils se soucient peu de suivre un seul principe jusqu’à ses dernières conséquences : en revanche, ils sentent plus fortement ce qu’il y a, dans les principes opposés, d’également bon, d’également nécessaire, et ils se mettent en mesure d’en essayer, tant bien que mal, la conciliation. Ils ont trop le sens des réalités pour les supprimer dès qu’elles les gênent, ou dès qu’elles se gênent l’une l’autre : ils aimeront mieux rogner un peu de toutes que de n’en conserver qu’une seule en abattant tout le reste. De plus, le rapport entre la patrie et l’humanité n’est pas de ceux qui apparaissent sous le même jour aux yeux d’une ville de quelques milliers d’habitans et aux yeux d’un empire de plusieurs millions d’hommes. Entre la petite bourgade juchée sur quelques collines du Latium, perpétuellement pillarde ou pillée, et l’immense agrégation de peuples qui enveloppe presque tout le monde civilisé, que d’étapes intermédiaires ! combien de fois les conditions matérielles se sont transformées, en même temps que se transformaient les influences morales, religieuses, philosophiques, juridiques ! Une pareille complexité ne saurait s’accommoder de quelques formules absolues, si sonores soient-elles, et si frappantes. Ce n’est pas une seule fois que Rome a eu à traiter le problème des devoirs de l’homme et de ceux du citoyen, c’est à chaque heure de son évolution, et dans des circonstances sans cesse renouvelées. — Essayons de voir comment elle y est arrivée.
Il est trop évident que les premiers Romains ne soupçonnaient pas qu’ils pussent avoir la moindre obligation envers les hommes d’une autre race. La Rome primitive est ce que sont toutes les cités du monde antique : un organisme très cohérent et très exclusif, qui tient à la fois du couvent et de la caserne, dont toutes les forces vives sont réunies en un faisceau convergeant vers le bien commun, qui, dans son propre sein, n’admet aucune volonté dissidente, et qui, en dehors de soi, ne conçoit aucun intérêt légitime. Quelques familles, plus ou moins sœurs les unes des autres, initiées aux mêmes rites, étroitement serrées pour tenir tête aux agressions des peuplades voisines, et,