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II

Le premier qui s’y emploie paraît bien être Cicéron, avec quelque incertitude malheureusement, et avec plus de générosité dans les desseins que de vigueur dans les actes. Son témoignage, dans la question qui nous occupe, est doublement précieux à recueillir. Car, étant à la fois homme d’Etat et homme de lettres, il se rattache, d’un côté, à la tradition politique de l’ancienne Rome, et, de l’autre, à la tradition philosophique de la Grèce. De plus et surtout, son esprit souple et malléable reçoit à tour de rôle toutes les influences qui peuvent s’exercer alors, les meilleures comme les plus discutables : les souvenirs du passé, les préoccupations du présent, les pressentimens de l’avenir, trouvent en lui, comme en notre Victor Hugo, à qui il ressemble tant (et non pas seulement par la vanité), un merveilleux « écho sonore. » Seulement, c’est cela même qui rend sa pensée souvent difficile à discerner. Sur tous les points qui touchent aux rapports entre Rome et le reste de l’univers, il dit, selon les circonstances, des choses qui paraissent ne pas bien s’accorder ensemble. Si l’on prend au pied de la lettre telle de ses phrases, en l’isolant des conditions dans lesquelles elle a été écrite, et sans la rapprocher de celles qui ont été tracées la veille ou le lendemain, rien n’est plus aisé que de le prendre, soit pour un « patriote » exalté, soit pour un « humanitaire » résolu. Or, en réalité, il n’est ni l’un ni l’autre ; ou plutôt, il est un peu les deux à la fois. Les deux opinions contraires coexistent en lui : suivant les jours et les besoins, c’est celle-ci qui par le plus haut, ou celle-là ; mais elles sont toujours présentes, sinon également visibles ; et, dans les momens où il peut réfléchir avec le plus de calme et de liberté, elles apparaissent réunies en un harmonieux équilibre. Ses reviremens sont curieux, ses tentatives de conciliation ingénieuses : voyons-les de plus près.

Et d’abord, puisque la grandeur de Rome a été acquise par la force des armes, que pense-t-il de cette force ? Voilà certes un point sur lequel il a beaucoup varié. Il y a dans son œuvre des phrases qui le feraient ranger, — qui peut-être l’ont fait ranger en effet, — parmi les lointains précurseurs de l’antimilitarisme. Les gens qui n’aiment pas l’armée peuvent, — s’ils