savent encore un peu de latin, — se répéter avec volupté le cri fameux Cedant arma togæ. — Mais, comme beaucoup de mots célèbres, ce vers n’a peut-être pas le sens qu’on lui prête. La « toge » que Cicéron vante au détriment des « armes » n’est pas celle de l’avocat, ni du juge, mais celle du chef d’Etat, du ministre de l’intérieur, si l’on veut, appuyé sur une bonne police et une garde nationale incorruptible. C’est à l’aide d’une troupe de volontaires, solidement équipés, que Cicéron a arrêté les projets révolutionnaires de Catilina. Son triomphe, s’il n’est pas absolument militaire, n’est pas non plus absolument pacifique. Et, parmi les rebelles qu’il accable de ses invectives ou de ses railleries, il y a sans doute des hommes de guerre, vétérans de Sylla enrôlés dans la conjuration, vieux soudards sans scrupules et sans culture, « trognes armées, » comme dirait Pascal : mais il y a aussi des jeunes gens qui répugnent à la vie des camps, des mondains, des raffinés, auxquels il reproche durement d’être inaptes au moindre effort belliqueux. Si bien que tout compte fait, de ses Catilinaires, on pourrait tirer presque autant de paroles pour que contre le métier des armes. — Par ailleurs, il est revenu, et plusieurs fois, sur ce point, mais n’a pas toujours tenu le même langage. L’année de son consulat, ayant à défendre Muréna, qui s’était illustré dans des expéditions coloniales, contre le jurisconsulte Sulpicius, il est amené par les nécessités de sa plaidoirie à exalter magnifiquement la gloire des généraux et à lui sacrifier, non seulement celle des jurisconsultes, ce qui n’a pas dû lui faire beaucoup de peine, mais (abnégation plus méritoire) celle même des orateurs. — Beaucoup plus tard, dans le Pro Marcello, pour mieux vanter la clémence de César, il met cette vertu bien au-dessus du courage ou de l’habileté stratégique, et il semble faire bon marché des batailles gagnées, où la fortune a souvent plus de part que le mérite. Tout cela, au fond, ce ne sont que des « lieux communs » de circonstance, où il serait puéril de chercher la pensée intime de l’orateur. Si l’on se rappelle, pourtant, toutes les louanges qu’il a prodiguées aux exploits de Lucullus, de Pompée, de César, on aura peine à voir en lui un contempteur systématique de la gloire des armes. Il y a mieux : cette gloire lui paraît si séduisante qu’il la convoite pour son compte personnel. Tout enivré qu’il soit de sa réputation de grand avocat et de grand politique, il veut être aussi un grand capitaine : il
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