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peuples voisins ou sujets de Rome. Pas plus ici que tout à l’heure, nous n’apercevons chez lui une attitude nettement tranchée : fier et amoureux de son pays sans en être ridiculement infatué, il ne se gêne pas pour médire des autres nations, quand cela se trouve, mais il les aime bien tout de même !

Le suivre dans toutes ses fluctuations, enregistrer toutes ses boutades, serait bien long, et peut-être médiocrement utile. Demandons-lui plutôt quelques opinions mûrement raisonnées sur les rapports de Rome avec les populations soumises. Justement il se trouve que trois fois au moins, et à des dates fort différentes, les circonstances de son activité politique l’ont conduit à examiner longuement et posément cette grave question.

C’est d’abord, presque à son entrée dans la vie publique, le procès de Verrès. Sans doute Cicéron y intervient comme avocat, défenseur des intérêts provinciaux, et peut sembler suspect de partialité. Mais c’est une affaire si considérable, si complexe, si retentissante, qu’il a dû faire effort pour la traiter autrement que par des traits d’esprit et des artifices de rhétorique. De plus, ce qu’il nous a laissé, ce ne sont pas les plaidoyers réellement prononcés, mais des discours refaits, complétés, rectifiés, à tête reposée. On est donc en droit de les interroger pour savoir ce qu’a pensé leur auteur. Or, tout au long de ces sept harangues, rien n’est plus frappant que son effort pour unir, pour solidariser ensemble la cause de Rome et celle des Siciliens. Débauches, exactions, vols, injustices, cruautés, toutes les infamies du préteur sont à la fois des crimes contre les alliés, qu’il rançonne et torture sans merci, et contre le peuple romain, dont il déshonore en sa personne la « majesté » et compromet le pouvoir. Par contraste, les grands généraux et les grands magistrats, dont Cicéron rappelle le glorieux souvenir pour en écraser Verrès, ont été en même temps les défenseurs énergiques du prestige national et les protecteurs bienveillans des libertés locales. Marcellus, — le vainqueur de Syracuse, celui à qui les lois de la guerre concédaient toute faculté d’user et d’abuser, — Marcellus est loué par l’orateur d’avoir respecté les monumens de la ville conquise de vive force : « Il n’a pas cru nécessaire à la gloire de Rome d’anéantir toute cette beauté inoffensive ; il a épargné les temples et les maisons, à tel point qu’on aurait dit qu’il était venu les armes à la main pour défendre Syracuse, et non pour s’en emparer. Quand il s’est agi d’emporter le butin