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livrent aux barbares. Saint Augustin reprend maintes fois cette controverse, et la tranche toujours, lui aussi, par le critérium de l’équité : ce n’est pas la guerre en soi qui est blâmable, c’est seulement la guerre injuste. « Pourquoi critique-t-on les combats ? Parce que des gens y meurent qui devaient mourir tôt ou tard, et qui périssent là en domptant les coupables pour leur imposer la paix ? Mais un tel reproche vient de la lâcheté, et non de la piété. » Saint Augustin va même plus loin, semble-t-il, que ses prédécesseurs, car, du moment que le motif d’une guerre est bien fondé, il tolère que l’on y emploie des moyens douteux, des stratagèmes, des ruses ; et d’autre part, il fait juge de l’équité, non pas le soldat, mais le chef de l’Etat : le devoir du fidèle est d’obéir sans discussion, et les scrupules de la conscience individuelle se taisent devant les nécessités de la discipline. Il est vrai que l’état de guerre ne délie pas les combattans de toute obligation humaine. Le soldat chrétien doit être miséricordieux : « Si la rébellion appelle la violence, le vaincu, le captif, a droit à la compassion. » Mais ceci, qu’est-ce autre chose que le parcere subjectis de Virgile ? et de même la distinction entre les guerres justes, défensives ou nationales, et les guerres de pure ambition, qu’est-ce autre chose que ce que nous lisions dans le De officiis ? En établissant que la guerre est permise, pour peu qu’elle soit équitable dans ses causes et relativement modérée dans l’action, saint Augustin, achevant l’évolution théologique des siècles précédens, revient à une morale qui ne diffère guère de celle des Cicéron et des Sénèque. Sans doute il ne fait pas l’apologie de la guerre, qui reste un fléau à éviter le plus possible ; mais les penseurs romains n’y voyaient pas non plus un bien à rechercher. Il est très loin de Joseph de Maistre, mais il est plus loin peut-être encore de Tolstoï : son ferme et lucide génie, assez semblable en ce point à celui de Bossuet, se souvient des besoins de l’Etat comme des leçons de l’Evangile, et repousse avec un pareil dédain le militarisme agressif et le pacifisme utopique.

Au surplus, l’activité guerrière est une des formes du zèle patriotique, mais ce n’est pas la seule, et si, sur celle-là, les théologiens chrétiens ont pu différer d’avis quelque peu, sur d’autres ils sont tombés plus facilement d’accord. Ceux-là mêmes qui blâment les vertus militaires du citoyen en tolèrent ou en approuvent les vertus « civiles, » l’obéissance, le dévouement.