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Dans le cas où l’Empire serait attaqué par des ennemis extérieurs, Origène ne permet pas aux fidèles de combattre pour sa défense, mais il leur conseille de prier pour sa victoire. Lactance, que nous avons vu si épris de paix universelle, n’est pas un adversaire de la domination romaine ; il y aperçoit la sauvegarde de l’univers contre l’anarchie, et demande à Dieu d’en retarder le plus longtemps possible l’anéantissement, de maintenir « cette lumière dont la perte serait la ruine du monde. » C’est à peine si quelques exaltés souhaitent le bouleversement de l’édifice impérial : les auteurs des livres pseudo-sibyllins, d’inspiration plus juive que chrétienne, ou encore leur disciple, cet étrange Commodien, qui se représente avec tant de joie amère le jour où « elle pleurera éternellement, celle qui se disait la ville éternelle, » luget in aeternum quae se jactabat aeternam. Les haines de cette espèce ne sont que des exceptions : en général, les évêques et les docteurs, non seulement acceptent la suprématie de Rome sur l’univers, mais s’en réjouissent, et en souhaitent la perpétuité. S’ils font quelques réserves sur les moyens par lesquels cette puissance a été acquise, — Cicéron en faisait bien déjà ! — s’ils blâment les anciens Romains d’avoir été ambitieux, iniques, violens, perfides, ces critiques rétrospectives ne les empêchent point d’aimer Rome dans le présent et d’espérer en elle pour l’avenir.

Ils semblent parfois vouloir faire assaut de loyalisme national avec leurs adversaires païens. Saint Ambroise, répondant à Symmaque, se flatte d’être plus patriote que lui, puisqu’il attribue la grandeur de la patrie, non à la protection de ses dieux, mais aux vertus de ses héros. Le poète païen Claudien célèbre magnifiquement cette ville « qui, seule, a reçu les vaincus dans son sein, qui, mère plutôt que reine, appelle citoyens ceux qu’elle a domptés, qui fait que tous ne forment plus qu’un peuple unique ; » mais, à la même date, le poète chrétien Prudence loue en termes identiques la paix romaine, exalte le souvenir des antiques victoires et salue avec enthousiasme les victoires récentes ; il est si fervent sujet de Rome qu’il pardonne presque à l’empereur Julien son apostasie en faveur de son patriotisme : « il a trahi son Dieu, mais non son pays. » Saint Augustin ne s’absorbe pas tellement dans la contemplation de la « cité de Dieu » qu’il soit indifférent à ce qui arrive à la « cité des hommes : » il souffre des premières