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nous avons pris tous nos repas avec la famille d’Edouard, qui a été charmante pour nous. L’hôtelier lui-même, pour regagner tout à fait nos bonnes grâces, nous a très modérément écorchés, après nous avoir bien traités.

« Edouard nous a offert une partie de cheval sur les rochers de la presqu’île. Tu sais quel pauvre écuyer est notre ami Francisque : cependant il a fait comme nous, il a enfourché son bidet breton, il a gravi dans les rochers, il a trotté et galopé sur les routes, il a passé avec nous toute sa journée à cheval, et, contre son attente, il n’est pas tombé ! Aussi je te laisse à penser combien il était content de lui. Ces petits chevaux bretons sont infatigables ; et ils ont le pied aussi sûr que des mulets. Edouard nous a conduits déjeuner à Camaret, dans un petit village où l’on pêche épouvantablement de sardines. Il y a plus de sept cents bateaux qui pèchent tous les jours ; et quelquefois un seul en prend 20 000 dans sa journée.

« Le lendemain, nous sommes allés avec toute la famille visiter en bateau les grottes de Crozon ; c’est de toute beauté : des cavernes très profondément creusées dans le roc ; la lumière s’y décompose de mille façons sur les cristaux. Ensuite, nous avons fait une partie de pêche, où Mme de Suckau s’est distinguée par un bonheur et une adresse incroyables. Elle est presque la seule qui ait pris du poisson, et elle en a fait un carnage.

« Le lendemain, toute la famille d’Edouard quittait Crozon pour aller à Châteaulin habiter chez une amie de Mme de Suckau. C’était notre chemin pour gagner le Morbihan ; Edouard vint à pied avec nous : c’était une affaire de neuf lieues, une plaisanterie pour nous qui en faisons maintenant jusqu’à douze sans nous fatiguer, mais pour lui, c’était plus grave. D’autant plus que nous nous sommes perdus dans le brouillard en traversant une montagne. Arrivés à Châteaulin, nous devions nous mettre en route pour visiter des mines de plomb et d’argent qui sont à une douzaine de lieues de là. Edouard devait donc dîner à l’hôtel avec nous et partir ensuite, pour nous avancer de quelques lieues sur la route des mines. Mais notre guignon nous fit rencontrer la dame chez qui la famille d’Edouard devait venir s’installer une heure après ; il nous tomba sur la tête une invitation à dîner : il fallut envoyer ou plutôt pousser Edouard en ambassade pour nous excuser sur ce que nous parlions le