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soir. Ce fut dur à arracher ; mais enfin, nous pûmes dîner ensemble à peu près tranquilles. Le dîner terminé, autre histoire : il fallut qu’Edouard allât prendre congé de ses parens ; il eut beau dire que nous avions une voiture, et que nous n’allions qu’à deux lieues et demie de Châteaulin pour coucher, comme il pleuvait à verse, ses parens avaient toutes les peines du monde à le lâcher. Il vint enfin, et à pied, par une pluie battante, nous fîmes deux lieues et demie en causant et en riant le plus gaiement du monde.

« Le lendemain est une de nos dures journées. Nous avons fait connaissance avec les chemins bretons que Francisque appelle des rivières de grande communication. Quelquefois, nous faisions un quart de lieue le long d’une berge en nous tenant aux branches. Jusqu’à six heures du soir, nous ne primes qu’un peu de lait, de pain et de beurre salé. Il ne nous manquait plus que de nous perdre, ce qui ne tarda pas à arriver. Retrouve-toi donc dans des chemins affreux, sans indications d’aucune sorte, sans rencontrer personne, si ce n’est de temps en temps une espèce de brute de Breton qui ne vous comprend pas et qui se moque de vous parce que vous parlez français ! Enfin, un mauvais petit chien de guide nous conduisit où nous voulions d’abord aller. C’est une cascade de cent dix mètres de haut, toute en écume, au milieu d’énormes rochers de granit. Figure-toi la Gorge-au-Loup changée en rivière : c’était une vue de Fontainebleau, plus l’eau, que Fontainebleau n’a pas. Là, par bonheur, nous fîmes rencontre d’un jeune garde-chasse qui nous guida avec la plus grande complaisance, et fit une demi-lieue pour nous mettre dans notre chemin. Il est vrai qu’il parlait français.

« Aux mines de Poullaouen, nous trouvons un directeur, ancien élève de l’Ecole polytechnique, renvoyé au bout de quelques mois pour manque de respect, on nous dit, à la personne de Louis-Philippe. Nous avions une lettre pour lui : il nous reçoit poliment, nous refuse poliment l’entrée de la mine, nous conduit poliment à la fonderie où il nous expose toutes les opérations de la coupellation, que nous savions aussi bien que lui. Là-dessus, il nous indique un village où nous trouverons à souper et à coucher. Or, il y a à Poullaouen un château où les propriétaires de la mine entendent qu’on héberge les étrangers qui en ont une bonne.