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« Francisque m’interrompt pour me charger d’écrire qu’il a bien dîné, et qu’il a bu une bouteille de vin à lui tout seul, et une bonne, encore ! (Je l’ai laissé dîner seul, parce que je suis imperceptiblement malade.)

« Je reviens aux mines. Le sous-directeur, qui demeure au Huelgoat, nous a mieux reçus que son chef. C’est aussi un ancien élève de l’Ecole, il se nomme Ladame ; ton père doit l’avoir connu. Il nous a tout expliqué avec le plus grand détail, et il est descendu avec nous jusqu’au fond de la mine, c’est-à-dire à plus de trois cents mètres sous terre. Le pauvre Edouard peinait à faire pleurer : il était abîmé de fatigue, et chacun des neuf cents échelons lui coûtait un énorme soupir ; toutes les fois qu’il enfonçait sa jambe dans une flaque d’eau, le pauvre garçon poussait des cris de paon. Pour Francisque, fidèle à sa maxime de faire tout ce que font les autres, et sans murmurer, il allait partout, suait sang et eau, et ne se plaignait pas. On ne l’entendait que quand sa lampe venait à s’éteindre.

« A la sortie de la mine, M. Ladame nous conduisit devant un bon feu pour réchauffer nos dehors, et il déboucha deux bouteilles de vin vieux pour nous rétablir le dedans. Quand il nous vit bien débarbouillés, bien reposés et bien ragaillardis, il nous mit sur notre chemin et nous dit adieu comme à des amis. Tu vois qu’on trouve de bonnes gens, même en Bretagne, mais ils y sont rares.

« Ce soir-là, Edouard fit encore trois lieues avec nous, mais, à la fin, il avait besoin de l’aide de nos bras. Le soir, après dîner, il nous montra une ampoule grosse comme un œuf de pigeon. C’est à Carhaix que nous lui avons dit adieu. Il a pris le courrier pour Châteaulin, où il va trouver des dames et des demoiselles en masse, et danser. Les quelques jours que nous avons passés avec ce bon et excellent garçon compteront parmi les bons jours de notre voyage. Après l’avoir quitté, nous avons couru en deux jours à Lorient ; c’est vingt lieues. Hier, nous sommes venus de Lorient ici par une pluie battante. Les gens du pays sont étonnés que cela nous étonne : ils prétendent qu’il pleut toujours dans le Morbihan. Heureux pays ! Nous sommes ici fort bien installés pour quelques jours dans le premier hôtel d’Auray ; notre dîner ne nous coûte que trente sous et notre lit dix sous. Or, les lits sont délicieux, et les dîners… J’ai appris à