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bois d’oliviers, nous côtoyons l’Acropole, que nous ne quittons pas du regard, et puis, hébétés par l’étonnement, l’émotion, le cœur tout remué par les beaux noms, les grandes choses, les vieux souvenirs, nous arrivons enfin à l’Ecole de France, où Beulé et About nous reçoivent. Nous arrivons alors à des choses plus terre à terre, nous pensons au diner, nous causons entre nous, toute la soirée, des vieilles connaissances, on prend le thé, on fume beaucoup, et les uns et les autres, excités par une conversation intéressante pour tous, nous nous quittons enfin pour aller nous coucher. Je rentre cependant dans ma chambre, j’écris au courant de la pensée mes impressions du jour, et je me dis encore : « Quelle merveille que ce pays ! Il n’y a pas à choisir dans les arts : il faut être le bon Dieu ou architecte ! »

On sent dans le tumulte de ces pensées la sincérité de l’enthousiasme. Le lendemain, quand Charles Garnier fut visiter l’Acropole, il ne fit pas, comme Renan devait le faire plus tard, une prière savante et délicate à ce modèle de perfection dans l’art. Son admiration se traduisit autrement, sous une forme qui, pour être plus familière, n’en est pas moins cordiale et profonde. Écoutons-le encore nous dire ce qu’il éprouva dans ce premier contact avec Je génie grec, en compagnie de Beulé et d’About.

« Après déjeuner, visite à l’Acropole. Il m’est impossible de dire tout ce que j’ai ressenti dans cette belle et longue visite. J’ai ressenti pourtant une espèce de velléité d’orgueil en voyant tout cela : « et moi aussi j’étais architecte, » je pratiquais le grand art, celui qui touche et impressionne si vivement et je regardais avec admiration les Propylées, et le Parthénon, et le temple de Minerve Poliade, et la Victoire aptère, et ceci, et cela, et puis je recommençais à regarder, et je fumais force pipes, l’une en l’honneur de Phidias, l’autre pour Ictinus, l’autre encore pour Mnésiclès, de sorte que, de pipe en pipe, d’admiration en admiration, quatre heures se passèrent ainsi qui nous parurent quatre minutes. Enfin nous partons émerveillés, un peu abrutis et pas mal fatigués, nous disons en retournant à l’École un petit bonjour au monument chorégique de Lysicrate, avec son charmant fleuron et ses vilaines colonnes, puis côtoyons la tour des Vents, qui laisse un peu à désirer, et rentrons enfin faire un costume. Nous le faisons tant bien que mal, car le moutard qui posait remuait à tout instant. Ça ne fait rien, c’est déjà un commencement de travail. »