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gouvernement de lui-même. Le stoïcisme libère le moi et lui décerne l’autonomie : il le dompte ? plutôt, il le charge de se dompter. Et le platonisme lui fait une beauté. M. Joachim Merlant n’a pas tort, à mon avis, de rattacher aux idées platoniciennes qui ont eu la vogue vers la fin de la Renaissance le grand souci de vivre en beauté que révèlent les précieuses, que révèle aussi le roman de l’Astrée et que révèle toute la coquetterie du siècle. Honoré d’Urfé a écrit des Épîtres stoïciennes, dont il a dédié le troisième livre à Marguerite de Navarre ; et, à cette Marguerite, Antoine d’Urfé, le frère d’Honoré, adressait en 1592 une épître platonicienne, De la beauté qu’acquiert l’esprit par les sciences. L’antiquité a beaucoup d’influence alors, et non pas seulement sur l’art et la littérature, mais sur les âmes. L’antiquité : le paganisme. Et cela nous étonne, de voir une société chrétienne si docile aux leçons des païens : leçons d’orgueil et de volupté spirituelle. Cela nous étonne : nous sommes un peu pharisiens. C’est, au contraire, une jolie chose, l’accord où ont vécu ensemble, durant le XVIIe siècle, la pensée païenne et la chrétienne. Et cet accord, plus tard, qui l’a défait, défaisant ainsi l’une des grâces de l’âme française ? l’impiété. Doctrine d’orgueil, le stoïcisme ne choque pas les chrétiens, avant l’époque de l’impiété. Le ménage Dacier, en 1691, traduit les Pensées de Marc-Aurèle et annonce : « Notre unique dessein a été de faire de ce livre un livre de piété. » Nous séparons avec trop de violence, peut-être, ce qui se rapproche sans nul scandale. Le stoïcien Guillaume du Vair est fidèle à ses croyances religieuses : il n’invoque pas un dieu philosophique, mais Dieu ; et il remercie Notre-Seigneur qui, par ses heureuses paroles, « suggère en un moment tout ce que les veilles de tant d’années ont pu acquérir de plus beau aux esprits des plus sçavans philosophes. » Et il aperçoit donc une évidente analogie entre la sagesse des philosophes et la vérité de la foi. Semblablement, M. Strowski a signalé (dans son Saint François de Sales) une bien ravissante analogie entre les dires de saint François, touchant l’amour divin, et les théories de l’amour que présente la mondaine Astrée d’Honoré d’Urfé. Adamas, dans l’Astrée, dit à Céladon : « Toute beauté procède de cette souveraine bonté que nous appelons Bien. Le soleil que nous voyons éclaire l’eau, l’air et la terre d’un même rayon. Le soleil éternel embellit ainsi tous les êtres. La clarté divine brille plus en l’entendement angélique que dans l’âme raisonnable, et dans l’âme raisonnable que dans la matière… » Et toute beauté est un rayonnement de Dieu. Et la spiritualité amoureuse tient des propos mystiques. Et Honoré d’Urfé eut pour ami ce Favre