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Saint-Pétersbourg et de Berlin, les habitudes commerciales établies entre les deux pays, les origines et les tendances germaniques d’une partie de la bureaucratie russe, les différences évidemment très grandes dans le régime politique intérieur de la Russie et de la France, le spectre souvent évoqué du péril révolutionnaire et de l’anarchie, retardèrent l’échéance qui pourtant était fatale et prévue. L’Allemagne, il faut le dire, déploya tous ses efforts, eut recours à tous les moyens, ne recula devant aucun sacrifice pour conjurer l’éventualité redoutée. L’empereur Guillaume Ier et son petit-fils, après lui, multiplièrent les visites et rencontres de famille. Outre les ambassadeurs, des plénipotentiaires militaires attachés à la personne des deux souverains respectifs, des agens de tout ordre avaient pour mission d’entretenir une sorte de permanence entre les deux cours. Le prince de Bismarck, après le Congrès de 1878 et la conclusion de l’alliance austro-allemande, imagina, pour rassurer le Tsar, ce système de la contre-assurance que, cependant, malgré toutes les ressources de son génie d’intrigue, il ne put, à la longue, soutenir devant la précise et imperturbable loyauté d’Alexandre III. Le chancelier de Caprivi, après la retraite de Bismarck, tenta, par la conclusion d’un nouveau traité de commerce et par l’adoucissement du régime prussien en Pologne, de se concilier les bonnes grâces de la Russie et de prévenir in extremis l’entente définitive avec la France.

La France, elle, était toute prête. Elle avait conscience d’offrir, pour le jour où les destins s’accompliraient, une armée et une marine égales à leur tâche, une administration solidement organisée, des finances rétablies, un crédit puissant, une diplomatie droite, libre de tous liens et ne poursuivant au plein jour que de nobles desseins ; enfin, et malgré les divisions de la politique intérieure, une opinion publique unanimement acquise à l’alliance avec un peuple vers lequel allaient ses sympathies, ses affinités, la vocation d’un sûr et irrésistible instinct. Tous les symptômes de notre vie nationale, les préoccupations de notre pensée, la claire vision de l’avenir, le grand succès fait à de beaux livres venus à l’heure opportune, l’ouvrage d’A. Leroy-Beaulieu sur l’Empire des Tsars, le Roman Russe du vicomte E.-M. de Vogüé, la popularité accueillant tout ce qui nous venait de Russie, tout marquait le penchant auquel nous cédions, l’appel auquel nous brûlions d’obéir.