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Lorsque les deux nations se cherchaient, lorsque déjà leurs mains commençaient à se rapprocher et que, dans des questions qui tenaient étroitement à cœur à la Russie, telles que la question bulgare (en 1885-1886), les deux gouvernemens sentaient l’union spontanément se faire, — ce fut la force et la vertu de l’empereur Alexandre III de prendre, d’accord avec le Président de la République française et ses ministres, la décision que commandaient les intérêts vitaux de la France et de la Russie, l’équilibre et l’indépendance de l’Europe, la paix du monde.

M. Ch. de Freycinet a résumé, avec autant de simplicité que de noblesse, au second volume déjà cité de ses Souvenirs[1], les circonstances mémorables dans lesquelles s’esquissa, au printemps de 1890, lors de la visite à Paris du grand-duc Nicolas, le projet d’alliance qui devait devenir un fait accompli le 27 août 1891, au lendemain de la visite rendue en rade de Cronstadt par l’escadre française, qui avait pour chef l’amiral Gervais. Je rappelle ici que cette escadre, avant de rentrer en France, par une attention de courtoisie qui était aussi une divination de l’avenir, s’arrêta à Portsmouth, où l’attendaient les sympathies, la confraternité ancienne et future de la flotte anglaise.


III

Lorsque se conclut l’alliance franco-russe, l’homme d’Etat qui avait tout fait pour la retarder et la prévenir, le chancelier de l’Empire d’Allemagne, le prince de Bismarck, avait quitté le pouvoir depuis plus d’une année. Le prince s’était retiré le 17 mars 1890, et sa retraite devait être le signal d’une nouvelle ère, ou, selon l’expression allemande, d’un « nouveau cours » (neue kurs), non seulement pour l’Allemagne elle-même, mais pour l’Europe et pour la politique qui, un peu après cette date, commença à prendre le nom de « mondiale. »

Le nouvel empereur, Guillaume II, qui, dans les dernières années de Guillaume Ier et dans les quelques semaines du règne de l’empereur Frédéric, s’était montré l’admirateur fervent du prince de Bismarck, son disciple enthousiaste, n’avait pu cependant garder longtemps auprès de lui le grand chancelier.

  1. Souvenirs de M. Ch. de Freycinet, t. II, pages 465-471.