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le retour dans leur patrie, surtout pour un but aussi populaire, à cette époque, qu’une guerre contre la Turquie. D’autre part les Monténégrins aussi n’étaient pas gens à se gêner pour prendre de force ce qu’on leur eût refusé de gré. Un paquebot du Lloyd, à bord duquel étaient embarqués quelques centaines de ces gaillards, étant sur le point de quitter le port, notre capitaine du port russe, M. Yougovitch, Dalmate d’origine, qui se trouvait par hasard à bord, demanda aux Monténégrins ce qu’ils feraient dans le cas où des navires de guerre turcs ou anglais, que l’on disait envoyés aux Dardanelles pour empêcher le départ de ces renforts des ennemis, viendraient à arrêter et à attaquer le paquebot ? « Eh ! nous les prendrons, » fut la simple réponse des Monténégrins, qui ne doutaient de rien.

Un autre incident, relatif au départ des Monténégrins, me fut raconté à cette époque par le grand vizir, Mehmed Ruchdi pacha. Il avait depuis des années à son service un jardinier monténégrin, dont il était très content. Cet homme est venu les larmes aux yeux, le prier de le laisser partir. « Est-ce que tu n’es pas bien chez moi ? lui demanda le pacha. — Au contraire, je suis très heureux, je voudrais toujours rester chez vous ; mais il y a la guerre et je dois aller dans mon pays, répondit l’homme. — Mais tu peux rester ici, personne ne te fera du mal. — Je le sais bien, mais je dois aller combattre l’ennemi. — As-tu donc à te plaindre des Turcs, les hais-tu tant, que de vouloir aller les tuer ? — Oh ! non, certes, mais c’est mon devoir ! Laissez-moi aller, pacha ; mais, puisque vous êtes si bon pour moi, permettez-moi, quand la guerre sera finie, si je reste en vie, de revenir chez vous, et gardez-moi ma place ! » — « J’ai dû le laisser partir, ajoutait Mehmed Ruchdi ; nous nous quittâmes les larmes aux yeux, je lui ai donné de l’argent pour le voyage, et certainement, s’il reparaît, je le reprendrai. »

Les débuts de la guerre serbo-turque semblaient devoir être favorables à la jeune principauté slave, et les premiers succès du général Tchernaieff, ne manquèrent pas d’exciter l’ardent enthousiasme du jeune personnel de l’ambassade, électrisé par les explications techniques de notre attaché militaire, le colonel Zélenoy. Les nouvelles qu’il rapportait sur les événemens de la guerre différaient bien de celles que publiaient les journaux turcs et la presse étrangère, mais il les tirait des journaux