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russes, des télégrammes officiels qu’y envoyait le colonel Komaroff. A chaque nouvelle victoire, prétendument remportée par les troupes serbes ou les volontaires russes, notre jeunesse se livrait à de bruyantes manifestations de joie. C’étaient des déjeuners au Champagne avec toasts et speechs auxquels j’ai dû finir par mettre un terme, car on commençait à en jaser. Mais il y avait des conséquences plus graves qui provenaient de ces fausses nouvelles auxquelles ajoutait pleine foi Zélenoy. « Eyoub pacha va être pris comme dans une souricière, disait-il lorsque la marche de l’armée turque, dans la vallée de la Morava, était déjà un fait avéré. Pourvu que l’Europe n’intervienne pas et n’oblige pas les Serbes à conclure un armistice… » Or, les négociations d’armistice venaient justement d’être entamées. J’avais l’ordre, dès le début, de tâcher de profiter de la première occasion pour faire cesser les hostilités. Les autres représentans devaient agir dans le même sens et des réunions avaient lieu chez le doyen, ambassadeur d’Angleterre, où cette question était continuellement agitée. D’autre part, notre sympathie pour la cause serbe était si manifeste que j’aurais manqué à mes devoirs si j’avais prêté la main à une décision qui aurait pu les priver d’une victoire, les arrêter au moment favorable. Nous protégions ouvertement la cause serbe à cette époque. Nos volontaires, notre argent, notre Croix-Rouge, tout y affluait ; moi-même je transmettais en chiffres, par la voie de la Russie a Belgrade, les nouvelles importantes que je pouvais me procurer sur les mouvemens et les forces de l’armée turque qui opérait contre la Serbie. Ainsi, lorsque vinrent les premières propositions d’arrêter les hostilités, je cherchai sous différens prétextes à empêcher l’intervention des Puissances et à laisser la guerre suivre son cours. Mon opposition, dont je rendais exactement compte au Ministère, irritait profondément Elliot, et nos conférences, tenues dans la rotonde attenante au cabinet de l’ambassadeur, à Thérapia, se résumaient presque en un duel entre lui et moi. Nous étions assis aux deux bouts du divan circulaire qui meuble la rotonde. J’avais à côté de moi le baron de Werther, ambassadeur d’Allemagne, qui me soutenait toujours chaleureusement et me prêtait souvent en dehors des séances l’appui de sa calme expérience. A côté d’Elliot était généralement assis le comte Zichy, ambassadeur d’Autriche, dont le gouvernement ne désirait