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Devons-nous faire honneur de cette évolution à la caserne, chargée dans certains États modernes de compléter le travail d’assimilation de l’école ? Certes, la terre d’Alsace est une terre de soldats, et elle en a fourni à la France plus que sa part, mais tous de leur plein gré. L’ancienne France n’a imposé à l’Alsace aucun service militaire. Les régimens cantonnés en Alsace y faisaient naturellement des recrues, mais nul n’était forcé d’en être. C’étaient d’ailleurs des régimens qui eussent été bien empêchés de travailler à la francisation de ceux qui y servaient, car on n’y parlait qu’allemand. Tels étaient Alsace-Infanterie, Alsace-Cavalerie, et surtout le Royal-Allemand. Ils étaient même plus allemands qu’alsaciens, si bien que les Cahiers de la noblesse d’Alsace en 89 demandent comme une faveur qu’on veuille bien y réserver aux nobles de la province la moitié des grades.

Il y avait bien, en dehors de l’armée régulière formée uniquement de volontaires, deux régimens de milice organisés par Louvois pour renforcer la défense en cas d’invasion subite. Ces deux régimens, de 1 200 hommes chacun, étaient recrutés depuis 1691 par tirage au sort parmi les célibataires et veufs de 19 à 28 ans. D’ailleurs, depuis la paix de Ryswick, les miliciens ne font plus de service effectif : ils en sont quittes pour quelques jours d’exercice chaque année à Strasbourg ou à Colmar. La charge était légère pour ceux sur qui elle tombait, et elle tombait sur peu de monde. Ainsi, en 1764, le comté de Horbourg, en Haute-Alsace, fournissait cinq miliciens sur 223 hommes répondant aux conditions requises. On peut dire que l’Alsace, sous l’Ancien Régime, n’a pas connu d’obligation militaire, et cette immunité a contribué beaucoup plus sûrement à lui faire aimer notre drapeau que ne l’eût fait une incorporation forcée.


V

Ainsi ce n’est ni la bureaucratie, ni l’école, ni la caserne, qui ont fait la conquête morale et intellectuelle de l’Alsace. Et pourtant cette conquête était faite au fond des cœurs à la veille de la Révolution et elle éclatera à tous les yeux dès que la grande guerre européenne menacera la frontière française dont l’Alsace était la gardienne. À quelle raison l’attribuer ?

Il y a d’abord les raisons négatives, et nous les avons exposées indirectement. La France n’a pas cherché à s’imposer, ce