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qui est toujours une bonne condition pour y réussir. Elle n’a pas tenté de violenter l’Alsace, et c’est une première cause pour laquelle l’Alsace s’est donnée. Mais si l’absence de contrainte, le respect des coutumes et des consciences, peuvent rendre facile et honorable l’acceptation du fait accompli, il en faut davantage pour entraîner l’adhésion intime à une nouvelle patrie. Il faut pour franchir ce second pas des raisons positives.

Elles n’ont pas manqué pour l’Alsace. D’abord, il ne s’agissait pas pour elle d’un arrachement à une patrie dont elle eût conscience de faire partie. L’Allemagne n’existait pas à l’époque où l’Alsace était Allemande. Le Saint-Empire Romain-Germanique était un agrégat fort vague, où chaque élément gardait son individualité, ses intérêts, ses vues particulières. L’Alsace se rappelait qu’elle n’y avait été incorporée par usurpation qu’au milieu du xe siècle [1]. Séparer l’Alsace de l’Empire au xviie siècle, ce n’était à aucun degré amputer un membre du corps sans lequel il éprouve qu’il ne peut vivre. Le corps germanique était encore invertébré. À chaque instant, et notamment au cours de la guerre de Trente Ans, des princes allemands faisaient alliance avec la France contre l’Empereur, sinon directement contre l’Empire. En Alsace même, beaucoup de seigneurs avaient coutume de recourir à la protection du roi de France. Il n’y avait, à proprement parler, ni patriotisme allemand, ni patriotisme alsacien, parce qu’il n’existait encore ni patrie allemande ni patrie alsacienne. On disait « les Allemagnes », on aurait presque pu dire : les Alsaces. On ne savait même pas où finissait l’Alsace. Était-ce à la Queich avec Landau, à la Lauter avec Wissembourg ? L’empereur Maximilien, dès 1511, plaçait Landau en Basse-Alsace. Colbert de Croissy, dans son Mémoire de 1663, indique pour frontière la Lauter. La Grange tient pour Landau (1698), mais encore en 1702 son successeur, Le Pelletier de la Houssaye, avouait « qu’à la vérité les bornes de l’Alsace du côté de l’Allemagne n’ont pas encore été bien précisément décrites et délimitées ». C’est la France qui a fixé les contours de l’Alsace, ce qui est déjà un service.

Elle lui en a rendu d’autres. L’Alsace, épuisée par des siècles de guerres, s’est reconstituée sous le régime français. Les chiffres

  1. M. Jacques Flach, La première réunion à l’Allemagne de la Lorraine et de l’Alsace était-elle fondée en droit public ? (Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1914.)