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de la mer et le grand hôpital fondé par Capo d’Istria ; mais ce qui nous toucha le plus, ce fut de voir que le temps était devenu fort beau, et que le panorama du golfe avait pris une teinte gaie et brillante, qui contrastait heureusement avec celle de la veille.

« Constantin et About vont à la recherche de mulets ou de chevaux ; on trouva un âne qui refusa de marcher et deux chevaux bruns, le premier assez fringant et alerte, le second borgne et poussif, et, de plus, fort entêté. On charge les bagages sur le dos du cheval aux yeux de velours et on couche les échelles sur le dos du borgne, qui, peu habitué à ce genre de faix, se mit à tourner sur lui-même comme pour s’en déharrasser en décrivant avec nos échelles de formidables moulinets. Les conducteurs modéraient son manège en le caressant du bâton, Constantin avec son parapluie bleu tâchait de passer entre deux barreaux pour lui piquer le derrière, la foule s’amassait, les chiens aboyaient, nous étions là, About avec son fusil et moi avec ma grande pique, indécis de savoir à qui resterait la victoire, lorsque, à force de frapper, de piquer et de gouverner les bâtis d’échelles, on parvient à mettre en bon chemin le porteur récalcitrant, qui profite cependant du moindre petit bout de mur pour y cogner nos échelles. Enfin la caravane part et nous quittons la ville profondément impressionnée par cet incident, et sans doute fort humiliée de la conduite tenue par un cheval de confiance.

« La route d’Egine au temple est très accentuée, très variée et caractéristique ; mais, bon Dieu, que de cailloux, que de rochers, que de pierres ! C’est la mort aux souliers. Et pourtant tout cela couvert de végétation, une vraie carrière fleurie. Nous passons près de petits moulins à eau, puis au-dessous de Paléa Egina avec ses ruines moyen âge, puis enfin près d’un petit bouquet de cinq ou six maisons assez proprettes vues du dehors, et après avoir monté quelque temps, nous arrivons à une petite cahute sise à trois quarts d’heure de marche du temple ; c’était la plus voisine du lieu de mon travail, c’est là que nous nous installons. Notre habitation était occupée par un brave homme de fermier, sa femme et son fils, qui se groupaient dans trois pièces. Le désir de gagner quelques drachmes leur fait nous céder les deux plus grandes et ils se réfugient tous dans la troisième, d’environ quatre mètres superficiels. Les pièces qui nous étaient réservées étaient, au rez-de-chaussée, une espèce de réduit avec