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Normandie, peut-être à deux pas de Paris ; vous causerez avec Mme T…, qui a de si bonnes dents pour mordre le prochain ; vous rirez avec « la petite femme qui danse, » suivant l’expression du mufti Francisque, et avec la jolie Mme Girette. (Dire que, sans l’Ile de Pathmos, il n’y aurait pas eu d’Apocalypse, et que l’affreux petit Girette ne se serait jamais appelé Jean ! ) Gustave vous jouera du piano ; vous prendrez du bon temps ; vous embrasserez Arthur ; vous verrez nos amis, et peut-être vous parlerez des absens. On est joliment absent, allez, quand on est où je suis et surtout où je serai. Il me semble que je serai à mille lieues de vous ; et cependant je ne serai qu’à neuf cent cinquante !

« Adieu, mademoiselle ; j’embrasse vos bons parens et vos frères, et je leur demande la permission de vous embrasser aussi. »

On ne conçoit guère une lettre d’About sans malices. Il y en a de plus ou moins intelligibles dans ce billet envoyé à une jeune fille. Par exemple, Mme Girette était une charmante personne, dont la grâce avait, à son insu, conquis About, qui se dépitait de la voir mariée à un autre, De ce fait, l’enfant issu de ce mariage lui était devenu « affreux. » Ce sont là jeux de prince. Caprice aussi l’idée d’aller deux ou trois mois à Pathmos, qu’About avait envisagée sérieusement et qui tout à coup tombait à l’eau, selon sa propre expression, comme une pièce de Ponsard. La raison de ce revirement subit ? La visite qu’un ami parisien se proposait de faire bientôt à l’exilé de Grèce, visite qui devait se passer à Corfou. Eut-elle lieu réellement ? Je l’ignore, car les documens sont rares sur cette période de la vie d’About, qui semble avoir surtout passé son temps à s’ennuyer et à ne rien faire. On a publié quelques fragmens de lettres écrites à cette époque au diplomate Charles Tissot, futur ambassadeur de la République française, ancien élève de la pension Jauffret et du lycée Charlemagne, au temps de Sarcey et d’About. Mais ces fragmens ont été mis au jour avec trop de fantaisie chronologique pour qu’on puisse s’y fier à cet égard. Ils peuvent seulement nous renseigner sur la curiosité d’About, toujours en éveil, et sur la façon dont il l’exerce, recueillant tous les détails dont il fera son profit ultérieur. A l’automne, une lettre de Charles Garnier, rentré à Rome et songeant toujours au temple d’Egine, vint tirer About de son