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tort ; ils constatent que le docteur Frédéric Asmus est devenu un tenant de la culture française : cela crève les yeux. La seule influence du pays a-t-elle opéré cette conversion ? Non, sans doute. M. Asmus a découvert la supériorité de notre culture ; mais c’est l’amour qui l’a mis sur le chemin de cette découverte. Il aime Colette et, dès qu’il s’en aperçoit, il s’empresse de rattraper son cœur des mains de la Walkyrie pour l’offrir à la petite Lorraine. Colette a demandé à réfléchir. Le jour où revient M. Asmus se trouve être celui où se célèbre chaque année la messe des soldats du siège, instituée par Mgr Dupont des Loges : on ne transige pas avec les morts. Colette Baudoche, c’est la Lorraine : elle ne pouvait consentir au mariage allemand. Elle refuse. Elle attendra. Que ne peut-elle pas espérer ? Déjà s’est accompli le souhait que le romancier faisait pour elle : « Petite fille de mon pays, je n’ai même pas dit que tu fusses belle, et pourtant, si j’ai su être vrai, direct, plusieurs t’aimeront, je crois, à l’égal de celles qu’une aventure d’amour immortalisa. » Plusieurs l’aiment, en effet, et c’est pour sa vertu plus belle que la beauté.

Transporter Colette Baudoche à la scène n’était pas une entreprise facile. Dans le roman de M. Barrès, l’action est réduite au minimum. Des pages descriptives : le vieux Metz, la campagne messine, la place Stanislas ; car il s’agit de dégager l’âme des choses, la pensée lorraine. Des notations psychologiques, des réflexions, de petits faits qui, aux yeux du moraliste, ont une grande signification. Mais pas d’événemens, pas de péripéties, presque pas de matière. Certes une pièce peut être excellente, où il ne se passe rien : de l’Ami Fritz à Primerose, c’est le cas de toutes les idylles dramatiques. Colette Baudoche est une idylle, mais c’est l’idylle d’une Lorraine et d’un Prussien. La situation est supportable, — elle l’était surtout cinq ans avant la guerre, — dans un livre où le lecteur paisible a le loisir de suivre la pensée de l’écrivain à travers toutes sortes de nuances ; dans le raccourci d’une pièce de théâtre, sous la lumière crue de la scène, devant une foule qui multiplie tous les effets par le nombre des spectateurs, elle prend une insistance, une brutalité, un air de provocation. Elle exige d’ailleurs que M. Asmus, puisque Colette a quelque penchant pour lui, ne soit pas haïssable. Et voilà l’Allemand sympathique ! Après Louvain, après Reims, et le jour même où nous venons d’apprendre le torpillage de la Lusitania, comment voir un Allemand sans le haïr ? Une atmosphère de cauchemar nous obsède à tous les instans : comment demander au public de s’en abstraire ? Involontairement il compare ce qu’on lui montre sur la scène et ce