Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui se passe sur l’autre théâtre, celui de la guerre. Et alors… Telles sont quelques-unes des difficultés, peut-être insurmontables, auxquelles devait se heurter une transposition scénique de Colette Baudoche. M. Pierre Frondaie a mis à les résoudre tout son talent de dramaturge expérimenté.

Très habilement il a découpé le roman en trois actes qui marquent trois momens de la progression sentimentale. D’abord l’arrivée de M. Asmus chez les dames Baudoche. Elles ne sont pas très fières de ce qu’elles viennent de faire, les dames Baudoche ; accepter un Prussien chez soi, elles sentent bien que c’est tout au moins une concession ; elles ont besoin qu’on les rassure ; le vieux Christian Tarrail, un combattant de 1870, un irréconciliable, s’en charge : il n’a été inventé que pour cela. Elles n’ont tout de même pas la conscience tranquille : chaque coup de sonnette les fait tressaillir, et Dieu sait s’il y en a, dans cette pièce, des coups de sonnette ! M. Asmus est tout de suite séduit par l’élégance du logement et par la bonne grâce des logeuses. En signe de contentement, il se vautre tout habillé, tout botté et tout crotté sur le lit aux fins draps blancs : c’est un homme mal élevé. — Au second acte, six mois après, les dames Baudoche se sont habituées à leur pensionnaire, et le Prussien des dames Baudoche s’est civilisé. On a voisiné, on s’est rapproché. M. Asmus apporte des fleurs, les dames Baudoche invitent M. Asmus à leur table. La plus franche cordialité règne pendant le repas. Ces dames ont offert à leur hôte une bouteille de vieux Bordeaux. M. Asmus a le vin tendre : il embrasse Colette. Après quoi, il n’a plus qu’à épouser. Il ne demande pas mieux, d’ailleurs, et même il le demande. — Au troisième acte, Colette semble bien près de dire oui ; en son absence, Mme Baudoche a cru pouvoir donner plus que des espérances au pédant amoureux qui ne se sent pas de joie. Mais Colette revient, soutenue par le vieux Tarrail ; à la messe pour les soldats morts en 1870, elle a eu une crise, elle a failli s’évanouir : des voix, les voix des morts, lui ont dicté son devoir. Une Lorraine ne doit pas épouser un Allemand. Elle congédie M. Asmus.

M. Pierre Frondaie s’est piqué d’être le plus fidèle des adaptateurs : c’est le seul reproche que je lui adresserai. Il aurait dû prendre avec son modèle des libertés auxquelles faisaient plus que l’autoriser les conditions nouvelles et atroces où un Allemand allait paraître devant nous. Il a voulu que M. Asmus fit rire, uniquement. Il a mis dans sa bouche de lourdes plaisanteries, des pataquès et des fautes de français que souligne l’accent tudesque. Sa pièce pourrait