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ailleurs qu’à Berlin. Une demande modérée aurait paru juste ; l’étendue et la nature des sanctions exigées étaient jugées inacceptables, et la forme d’une brutalité sans exemple.

Plus je réfléchissais à la situation redoutable créée par la connivence des diplomaties allemande et austro-hongroise, plus je me persuadais que la clef de cette situation était à Berlin, comme l’a dit un peu plus tard M. Sazonow, et qu’il ne fallait pas chercher ailleurs la solution du problème. Mais, alors, si le choix entre la paix et la guerre était laissé à l’arbitraire de l’empereur Guillaume, dont l’influence sur son alliée de Vienne avait toujours été décisive, étant donné ce que je savais des dispositions personnelles de Sa Majesté et des desseins du grand état-major, aucun doute n’était plus possible quant au dénouement, aucun espoir ne devait plus subsister d’un arrangement pacifique. Je fis part de cette prévision désolante à l’ambassadeur de France, que j’allai voir à la fin de cette journée. Comme moi, M. Cambon n’avait pas d’illusions. Le soir même, j’écrivis à mon gouvernement, pour lui exposer toutes mes appréhensions et l’engager à se tenir sur ses gardes. Ce rapport, daté du 26, je le confiai, par mesure de précaution, à l’un de mes secrétaires, qui partit aussitôt pour Bruxelles. Le lendemain, de bonne heure, ma dépêche était entre les mains du ministre des Affaires étrangères.

« L’ultimatum à la Serbie, y disais-je, est un coup préparé entre Vienne et Berlin, ou plutôt imaginé ici, et exécuté à Vienne. La vengeance à tirer de l’assassinat de l’archiduc héritier et de la propagande panserbiste ne servirait que de prétexte. Le but poursuivi, outre l’anéantissement de la Serbie et des aspirations jougo-slaves, serait de porter un coup mortel à la Russie et à la France, avec l’espoir que l’Angleterre resterait à l’écart de la lutte. Pour justifier cette présomption, je dois vous rappeler l’opinion qui règne dans l’état-major allemand, à savoir qu’une guerre avec la France et la Russie, est inévitable et prochaine, opinion qu’on a réussi à faire partager à l’Empereur. Cette guerre, ardemment souhaitée par le parti militaire et pangermaniste, pourrait être entreprise aujourd’hui dans des conditions extrêmement favorables pour l’Allemagne et qui ne se présenteront probablement plus de sitôt. »

Après un exposé de la situation et des questions qu’elle soulevait, mon rapport contenait la conclusion suivante :