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en disant qu’à cette nouvelle le sentiment général parmi les acteurs ou les témoins du drame fut une grande appréhension. Nos cœurs se serrèrent, et nous eûmes l’intuition que nous touchions au moment décisif. Il en fut de même à la Wilhelmstrasse. M. Zimmermann ne cacha pas au chargé d’affaires britannique le regret que lui causait ce retour, décidé par Guillaume II, sans consulter personne.

Cependant nos craintes ne parurent pas d’abord être justifiées. La journée du 28 marqua une détente plus accentuée dans la raideur intransigeante de l’Allemagne. L’ambassadeur d’Angleterre, rentré la veille à Berlin, est appelé le soir chez le chancelier qui, tout en refusant la conférence des quatre Puissances proposée par sir Edward Grey, promet d’employer tous ses bons offices pour amener la Russie et l’Autriche à discuter entre elles la situation sur un ton amical. « Une guerre entre les grandes Puissances doit être évitée. » Ce sont ses dernières paroles. Il est très probable que le chancelier désirait alors sincèrement le maintien de la paix et que ses premiers efforts, en voyant le danger s’approcher de plus en plus, ont réussi à contenir pendant quarante-huit heures l’impatience de l’Empereur. Le télégramme, adressé par Guillaume II au Tsar, dans la soirée du 28, est amical, presque rassurant. « En souvenir de la cordiale amitié, lui mande-t-il, qui nous lie tous deux étroitement depuis longtemps, j’use de toute mon influence pour décider l’Autriche-Hongrie à une entente loyale et satisfaisante avec la Russie. »

Quelle explication faut-il chercher ensuite au brusque revirement qui s’est opéré le lendemain à Berlin, ou plutôt à Potsdam, et au langage étrange tenu par le chancelier le 29 au soir à sir Ed. Goschen ? Il ne s’agit plus dans cette scène nocturne des conditions imposées par l’Autriche à la Serbie, ni même seulement d’une guerre possible entre la Russie et l’Autriche. Le foyer incendiaire s’est subitement déplacé ; le danger a franchi d’un bond toute la largeur de l’Europe, du Sud-Est au Nord-Ouest. Que veut savoir immédiatement M. de Bethmann-Hollweg, qui revient de Potsdam où s’est tenu un conseil sous la présidence de l’Empereur ? C’est si la Grande-Bretagne consentirait à rester neutre dans une conflagration européenne, pourvu que l’Allemagne, en cas de victoire, respectât l’intégrité territoriale de la France. Et les colonies