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françaises ? questionne l’ambassadeur avec beaucoup de présence d’esprit. Le chancelier ne peut pas faire la même promesse à leur sujet, mais il n’hésite pas à déclarer que l’Allemagne respectera l’intégrité et la neutralité de la Hollande. Quant à la Belgique, l’action de la France déterminera les opérations que l’Allemagne sera forcée d’entreprendre sur son territoire ; mais, après la guerre, la Belgique conservera son intégrité, si elle ne s’est pas rangée du côté des ennemis de l’Allemagne.

Voilà donc le honteux marché auquel on conviait l’Angleterre, alors qu’aucun des négociateurs n’avait osé prononcer les mots précis de guerre européenne, ni en évoquer l’image effrayante. Cet entretien était la conséquence immédiate du pas décisif que la diplomatie allemande avait fait le même jour à Saint-Pétersbourg ; il nous a été révélé par les documens diplomatiques, imprimés sur l’ordre des gouvernemens des États bélligérans et tous d’accord sur ce poignant épisode. Ce jour-là, M. Sazonow reçoit à deux reprises la visite de l’ambassadeur d’Allemagne, qui vient lui faire une demande enveloppée de menaces. Le comte de Pourtalès insiste pour que la Russie se contente de la promesse, garantie par l’Allemagne, que l’Autriche ne portera pas atteinte à l’intégrité de la Serbie. M. Sazonow refuse, car la Serbie deviendrait la vassale de l’Autriche, et alors une révolution éclaterait en Russie. Le comte de Pourtalès appuie son exigence de l’avertissement que l’Allemagne mobilisera, si la Russie ne cesse pas ses préparatifs militaires, et la mobilisation de l’armée allemande, c’est la guerre. Le second entretien, qui eut lieu à deux heures du matin, ne fut, quant à son résultat négatif, que la répétition du premier, malgré un dernier effort, une dernière proposition de M. Sazonow pour conjurer la crise. Sa capitulation devant la sommation brutale de l’Allemagne eût été l’aveu de l’impuissance de la Russie.

L’empereur Guillaume, ayant repris en mains depuis l’avant-veille la conduite des affaires, c’est bien à lui, pressé d’en finir, poussé par l’état-major et les généraux, qu’il faut faire remonter la responsabilité de cette démarche insolente qui a rendu la guerre inévitable. « Les chefs de l’armée insistaient, » a dit un peu plus tard M. de Jagow à M. Cambon pour toute explication. Le chancelier et avec lui le secrétaire et le sous-secrétaire d’État se sont ralliés à cette dangereuse manœuvre, dans leur impuissance à faire adopter des procédés plus concilians et moins