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plusieurs centaines de jeunes gens arpentaient les voies du centre, en chantant gravement des hymnes nationaux, et se dispersaient, après avoir poussé quelques « hoch ! » devant les ambassades d’Autriche-Hongrie et d’Italie et le palais du chancelier. Le 2 août, j’ai observé l’animation du public endimanché qui encombrait le large boulevard du Kurfurstendam ; il lisait attentivement les éditions spéciales des journaux, puis chacun vaquait à ses plaisirs habituels, parties de tennis pour les jeunes gens et les jeunes filles, longues beuveries dans les brasseries, pour les bourgeois et leurs familles. Quand l’automobile impérial passait comme un éclair sous les « Linden », il était salué de vivats assez nourris, mais nullement frénétiques. Il a fallu les excitations de la presse contre la Russie, provocatrice de la guerre ; les discours trompeurs de l’Empereur et du chancelier et les publications truquées du gouvernement, pour allumer un patriotisme plutôt lent à s’enflammer. Il s’est manifesté surtout, à la fin de mon séjour, par des insultes aux malheureux Russes qui traversaient la ville, regagnant leur pays en toute hâte, et par d’ignobles outrages au personnel de l’ambassade du Tsar, lorsqu’il a quitté Berlin.

Si la masse du peuple allemand, ignorante des intentions pacifiques de la Russie, a été facile à abuser, il n’y a pas là de quoi nous étonner. Mais les classes supérieures, mais les esprits avertis, n’ont pas pu être dupes des mensonges officiels. Le gouvernement du Tsar, — ils le savaient aussi bien que nous, — avait un intérêt capital à ne pas entamer la lutte. En vérité, il est puéril de discuter cette question. Encore une fois, dans le calcul de Guillaume II et de ses généraux, l’affaire serbe a été un piège tendu à l’Empire du Nord, avant que la croissance de ses forces militaires en eût fait un adversaire invincible.

Nous nous sommes anxieusement demandé, à Berlin, si une déclaration formelle du gouvernement britannique de ne pas rester étranger au conflit n’aurait pas arrêté l’Allemagne, tandis que l’incertitude qui régnait au sujet de son intervention l’a certainement encouragée. Nous eûmes même l’espoir, — l’espace d’un moment ! — que sir Ed. Grey allait détruire les illusions dont tout le peuple allemand aimait à se nourrir. L’honorable secrétaire d’Etat a dit, en effet, au prince Lichnowsky, le 29 juillet, que la question austro-serbe pourrait prendre une telle amplitude, que tous les intérêts européens y seraient