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que les wagons sont vides, des hommes de service procèdent à une désinfection rapide, à l’aide de liquides antiseptiques.

Le train est composé de dix wagons, chacun contenant cinquante personnes. Aussitôt qu’il s’arrête en gare, des commissaires placent des numéros, allant de un à dix, sur les voitures, et des équipes de volontaires du Comité, correspondant aux mêmes numéros, prennent en charge les occupans de chaque wagon.

A voir descendre et défiler ces femmes et ces hommes, tous fatigués et piètrement vêtus, la même émotion nous empoigne. Nous les accompagnons dans la grande salle du restaurant, où des tables numérotées répondent au chiffre de chaque escouade, et nous allons causer avec eux. Mais dans le cortège, quelles sont ces silhouettes qui détonnent ? Franges de cheveux coupés au ras des sourcils, robes fripées qui furent brillantes, bijoux de camelote, souliers trop découverts sur des bas trop fins… Je ne me trompe pas, et j’en compte cinquante. Elles sont mélangées aux familles qui défilent, et la défiance des regards est réciproque. « Y a des vilaines femmes avec nous, » me dit une mère en ramenant à elle ses petits, brusquement.

Je m’inquiète de cette promiscuité, d’autant plus que, sur quelques-uns de ces visages, certains signes sont fâcheux. Sans vouloir appliquer ici un puritanisme implacable, il est évident que le voisinage peut être dangereux, d’autant plus, me dit une dame du Comité, que ces rapatriemens sont fréquens. A Zurich, discrètement, on fait le triage et nous nous en apercevrons au départ.

Et je questionne les femmes, qui me paraissent avoir faim et faire honneur au repas : « Combien de temps êtes-vous restées en route, aviez-vous de quoi manger chaque jour ? — Nous sommes restées trois jours et trois nuits, et on nous a donné du « rata » pas trop mauvais, mais c’était bien mal servi ! Tout dans des baquets et pas de fourchettes ni d’assiettes, il fallait prendre à même ! Pour le café, quand on en avait, aux arrêts, c’était la même chose, » et on spécifie : « Dans des baquets où qu’on s’lave, madame. Il fallait boire à même, autour, comme des chiens. » — Et les filles, malades, contaminantes, mélangées au convoi, ont bu dans ces mêmes baquets, pêle-mêle avec les enfans… Précautions scientifiques de l’hygiène moderne, prophylaxie allemande, où êtes-vous ?