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contenant des malades, et sur ces wagons une lettre : T ou R[1]. Lorsque ce sont des blessés, on garde ceux qui sont le plus gravement atteints dans le pays, et les autres sont évacués vers l’intérieur de l’Allemagne. L’autorité sanitaire a fait vacciner d’office les habitans des villages, mais sans leur expliquer de quelle maladie on allait les garantir. On leur a parlé du choléra ( ? ), de la fièvre typhoïde, et on les a fait partir sans avoir terminé la série annoncée de piqûres…

Quand on a donné l’ordre d’évacuer, le canon français s’était rapproché depuis quelques jours. On a précipité les départs. La veille, des boulets étaient tombés à deux kilomètres. A la nouvelle de l’évacuation, l’émotion avait été grande : « Si on avait cru que c’était vraiment pour venir en France ! Mais on pensait qu’ils nous enverraient en Allemagne, comme les premiers qui sont partis, et on savait que c’était affreux là-bas, dans les camps… Aussi on a eu bien peur, et on est parti en pleurant. Mais, en passant à la gare de Metz, les soldats ont été gentils : ils ont donné des petits pains aux enfans. Alors on s’est dit que peut-être on allait tout de même rentrer en France. »

Logique inattendue, et qui se trouve justifiée par le fait ; obscure intuition, peut-être.

La commune de C… a été frappée, me disent aussi ces femmes, de trente mille marks de contribution, puis de dix mille encore, pour des délits imaginaires. On avait de l’argent : on a payé. Mais les exactions sont fréquentes et abusives. Une dame des environs a dû, avant d’être évacuée, verser trois mille marks. Aussi on cache son argent comme on peut… Je ne dévoilerai pas les moyens employés par quelques-uns !

Les soldats allemands sont maintenant mal nourris ; ils se plaignent de la quantité insuffisante de pain, dont ils touchent une demi-livre par jour. On a amené dans le pays, pour faire les cultures, des prisonniers russes ; ceux-là, surtout, sont peu et mal nourris ; ils paraissent épuisés. Et il est interdit aux Français de leur remettre quoi que ce soit, sous peine de punition sévère.

D’ailleurs, les soldats allemands ne sont pas méchans, disent-elles, s’ils ne boivent pas. C’est quand ils ont pillé une cave qu’il faut se sauver… Mais les gradés et les officiers sont

  1. Typhus, ou fièvre typhoïde. Rougeole ?