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peut-être illusoires de l’ensemble. Du haut du beffroi que Beaudouin IX se résolut, en 1200, à fonder, un maçon hardi rejette les pierrailles encombrant les creux des frontons sculptés. Un à un, ces fragmens tombent vers les éboulis accumulés sur le sol de l’antique halle, et harcelés par les averses qu’aucune toiture n’arrête plus. Les flammes se lassèrent de dévorer quelques peintures de la salle Pauwels. En tristes lambeaux, là, survit l’histoire des Flandres. Leurs demi-personnages s’étonnent des tommies hâlés, saurs et crottés qui raclent leurs boites, qui graissent leurs armes, qui sifflotent leurs airs de gigue.

En face, la Halle de la Boucherie, et son double pignon à degrés, ceux du musée, se sont effondrés tout à coup sur cinq ou six personnes. De semblables accidens peuvent se répéter, même si les obus des barbares n’achèvent pas la destruction des édifices offerts à la piété de l’avenir par l’intelligence du passé.

Le vent qui s’engouffre dans l’imperméable jaune-serin de ce cavalier britannique renverse aussi des briques branlantes sur les pans de murs. Le canon, d’ailleurs, ne cesse d’ébranler l’atmosphère humide. Il démolit la rue au Beurre après la rue de Lille. Tout à l’heure, il creusera un cratère, au beau milieu de la Grand’Place, devant l’amas de débris que sont devenus le gracieux Hôtel de Ville, ses arcades fines, et les sveltes pinacles surmontant les mansardes. Sur la place fort ample, les convois d’ambulance défilent qui ramènent du front les blessés. Dans les tavernes et les tabagies, de l’autre côté, les soldats s’entassent. Des officiers anglais ont introduit leurs jambes maigres en de belles bottes de caoutchouc, très bien faites. Ils se pavanent, de profil. Des Français reviennent de la tranchée. Ils ont l’apparence de chemineaux hirsutes, chevelus, barbus, larges, goguenards. La boue les chausse. La pluie a déteint leurs capotes et les housses de leurs képis. Ils plaisantent à qui mieux mieux, si gourds qu’ils semblent d’abord, sous le faix du sac remonté par-dessus la tête avec son rouleau de couvertures, et sa marmite de fer-blanc. Les crosses heurtent le pavage. Ils font halte. Joyeusement, ils interpellent le camarade qui sort du café. Ils lui demandent l’adresse du coiffeur. De notre mécanicien, ils requièrent une place dans l’automobile. Nés malins, ils se montrent ironistes, critiques de soi-même et