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Ensuite nous longeons le noble parc d’un château Louis XIII reflété, avec ses charmilles, dans une large pièce d’eau. La travaille l’état-major de la division. Des hussards, aux grilles, montent la garde. Les torpédos cuirassés de boue emportent, ramènent les officiers de liaison. Les fils du téléphone, du télégraphe, convergent sur l’antique échauguette du portail. Ils transmettent les appels des tranchées, les résultats des observations, les renseignemens des patrouilles, les rapports des chefs, les avis de l’intendance, les ordres du corps d’armée, toutes les pensées qui nécessitent l’élan et la mort du peuple au combat.

En cette portée de fils métalliques, ont-elles conscience de leur œuvre, et d’elles-mêmes, ces idées qui se précipitent ? Hors des cerveaux émetteurs, avant d’atteindre le destinataire, prennent-elles conscience de soi et de la tragédie qu’elles meuvent ?

Le vent du soir peu à peu chasse les nuées. Il démasque la lune pleine. Nous courons dans l’azur cendré d’une belle nuit. A droite, une boule de lumière descend lente vers l’horizon, déjà, pour révéler aux Allemands qui la lancèrent quelques mouvemens possibles de nos troupes. Croisant des convois, leurs escortes muettes enturbannées de lainages, nous allons très vite. A l’entrée des bourgs, les sentinelles barrent le chemin. Elles s’avancent, baïonnette en avant ; non sans défiance. Le doigt sur la gâchette, elles demandent au chauffeur le mot de passe, puis s’effacent. En un village même, le hussard met en joue. Une seconde nous regardons, anxieux, le trou du fusil, l’homme au schako bleu. Il nous vise, la joue penchée sur la crosse, la pèlerine bleue retroussée par ses bras en posture de tir. La voiture s’est arrêtée. Ce ne lui suffit pas. Il faut lui crier le mot à distance. Le peloton est sorti précipitamment du poste. Des officiers ennemis, dit-on, se déguisent en Croix-Rouges. Constamment ils essayent, dans leurs automobiles d’ambulance, quelque randonnée à travers nos positions. Une de ces reconnaissances était apparemment signalée au poste des hussards.


IV

Autre après-midi. L’automobile a gagné les environs de Pervyse. Nous sommes à la recherche du lieutenant G…, qui commande une batterie de ce côté. Sans cesse l’air est