violemment froissé par le vol des obus teutons allant d’Est en Ouest, afin d’atteindre les écluses de Nieuport et d’abolir notre pouvoir de régler l’inondation. Un vent frais assainit les routes, à peu près vides, comme la campagne mouillée, plate entre les bosquets des hameaux. En groupes, des soldats belges aimables et gais surveillent les fourches de chemins, l’entrée, la sortie des villages où les cultivateurs vaquent à leurs occupations habituelles, tranquillement. Les fermières distribuent le grain aux poules. Garçons et filles reviennent de l’école, le cartable sous le bras, la règle à la main, les galoches aux pieds, en se faisant des niches.
Des estafettes motocyclistes traversent les fondrières à toute vitesse, avec une sorte d’entrain sportif. Nous allons, sans pouvoir nous renseigner exactement, tantôt sous le ciel gris, tantôt dans un soleil pâle, selon le caprice d’Eole qui rassemble, qui masse ou disperse les nuées. Rien de particulier dans cette campagne agricole encore parsemée de herses et de rouleaux inactifs ; mais où les hordes de corbeaux, en picorant les guérets constatent le travail accompli des semeurs. À mesure que nous avançons, les escouades apparaissent plus rarement. L’espace vide tonne, gronde par-dessus les champs déserts et gris qu’explorent les migrations de sansonnets, ici et là, autour des cratères. Partout, les gros projectiles en ont creusé. À l’abri d’une pauvre maisonnette s’embusque une manière de caronade élevée sur un affût bizarre, que mille taches verdâtres, rougeâtres, bleuâtres colorient afin de le rendre moins distinct parmi les diverses nuances du paysage. Le guidon vise le zénith et les tauben qui s’y risqueraient. Deux jeunes garçons habillés en artilleurs belges taquinent un pâtre. Ils le bousculent. Ils rient fort auprès de cinquante obus en pile, sur une saillie de l’affût, dans leurs douilles de bronze. En attendant de lancer la mort au ciel, ces adolescens gracieux batifolent le plus franchement. Nous les dépassons. Et peu à peu, nous nous inquiétons de ne plus rencontrer personne, ni rien. L’air ébranlé tremble. La plaine rase et infinie se courbe vers un horizon laiteux. Les oiseaux mêmes ont abandonné une atmosphère trop vibrante. Aurions-nous franchi nos lignes ? Est-ce dans la zone intermédiaire que nous courons au hasard ? Rien ne se montre. Nous allons encore. Point de vie. Il nous faut revenir si nous ne voulons qu’une patrouille allemande brusquement surgie d’une