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un coup de fusil, à gauche. Des fantassins belges vont, en file, à la relève. Malgré l’orage des bombardemens, qui d’ailleurs s’apaisent, les carrioles des paysans cahotent sur le pavage, derrière le trot du bidet paisible. Une petite ville en décombres se profile dans la grisaille du crépuscule.

Là fut arrêtée l’entreprise des Allemands sur l’Yser. Une série de batailles cruelles, pour la possession de la voie ferrée, ensanglanta, six semaines, cette rue centrale, où la distribution, le soir, rassemble des compagnies de fusiliers très propres, en capotes sombres. La ville fut envahie par les Teutons, reprise par les Alliés. On y canonna toute angoisse humaine à l’abri d’un mur. De ces petites maisons en briques, quelques-unes restent debout, criblées, sans fenêtres intactes, au milieu des éboulis informes que sont devenus les autres logis. On y a tant combattu, fous, dans la fumée. On y a tant souffert, espéré, agonisé. Les feux précipités des mitrailleuses, de là, fauchèrent tant de groupes fidèles à leurs rages, et qui se ruaient dehors, baïonnette en avant, pour s’affaisser en monceaux de blessés, jurant et râlant, de cadavres bientôt roides, dans leurs uniformes de boue. Joyeux, criards, des enfans jouent à la guerre dans les amas de plâtres, de poutres, de ferrailles, de moellons effondrés. Au seuil des caves, suprêmes refuges, les pères fument leurs pipes ; les mères récurent une casserole retrouvée ; les filles, un peu coquettes, babillent avec des sergens. L’Amour de bois peint en rose, qui servit d’enseigne, pend, décroché, derrière la glace de sa niche. Au-dessous, la porte s’ouvre sur une ambulance anglaise. Campées dans cette demeure sans toiture, plusieurs dames de Londres, au costume original et guerrier, y assistent les soldats que leurs blessures trop graves ne permettent pas d’emmener dans un des automobiles verdâtres à quatre énormes croix rouges, vers les hôpitaux de l’arrière. Pour bizarres que soient leurs jupes-culottes, leurs molletières et leurs capelines rousses, ces courageuses femmes font œuvre pie. Leurs grosses voitures complètement munies vont de poste en poste, avec un médecin, recueillir les malchanceux. Ils sont transportés fort vite jusqu’aux salles de radiographie, jusqu’aux mains des docteurs. Ici, où le bombardement fait rage, le jour, de neuf heures à cinq heures, et, souvent, toute la nuit, leur présence est méritoire.

Nous allons plus avant, sur la chaussée, entre les ruines. La