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ne se vante pas trop de sa hardiesse, pour que nous louions le courage de la souveraine, évidemment admirée de tous. La chaleur du poêle et des corps, après le froid extérieur, rend plus communicative, en cette glorieuse tanière, la jovialité de ces éphèbes. Narquois, hardis, très polis et courtois pourtant, ils causent de la meilleure façon. La guerre, ils la tiennent pour le plus captivant des sports, dirait-on, le ludus pro patria.

« Pour ça, c’est amusant !… conclut un flandrin aux mèches jaunes sous le béret qui coiffe sa figure malicieuse et fine… Et ça dure. Je marche depuis le mois d’août, moi, savez-vous ? »

Savait-il aussi qu’un cataclysme subit, bientôt, écraserait ce rempart, qu’un obus s’enfoncerait là, criblerait de ses quatre cents éclats les veilleurs hurlant, trouerait les poitrines jeunes, scalperait les têtes blondes pleines de glorieux espoirs, de joyeuses forces, de puissantes volontés, immortelles, d’ailleurs, et transmises, comme le flambeau antique, par la main du moribond au poing du survivant, pour continuer la course d’un peuple légendaire à jamais vers la plus noble des victoires ?


V

Ronde, belle, la lune paisiblement regarde le pays bleuté, l’air qui tremble, les collines qui grondent, les éclairs des artilleries cachées, même cette autre lumière en boule qui, très lente, descend vers l’horizon pour dissiper le mystère de ce bois dangereux là-bas, de cette emblavure où peut-être rampent, en haletant, des hommes prêts à tuer.

Rien d’autre n’anime, d’abord, l’aspect de cette plaine et de ses bocages épars. De sa lueur, Tanit polit la tour pointue du moulin qu’un projectile ébrécha. Les ailes arrachées gisent, amas de lambeaux et débris, contre la haie pâle. Au bout de l’éteule, là, entre deux mottes, un lumignon scintille. Probablement des Français qui veillent dans la boue de leur fosse. En voici de silencieux, de couchés, d’assis dans l’herbe, à l’abri du talus, près de leurs sacs et de leurs faisceaux. Ils fument là vagues et bleuâtres, immobiles, l’oreille au guet, sous leurs turbans de lainages. Debout, l’officier tâche de lire sur son calepin, et crayonne.

L’automobile de la Croix-Rouge court, luisant, entre deux lignes d’arbres dépouillés, sur la route aux ornières