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goguenard, la jumelle aux yeux, quand les sphères des artificiers allemands éclaireront la contrée, en descendant du ciel. Et il restera là, très attentif, pour avertir, au téléphone, nos batteries de leur œuvre efficace.

Au bord des eaux, la tranchée belge, dans un talus qui protège la voie ferrée, abrite des soldats vigilans. Le képi d’un chasseur français surmonte la croix qui signale la fosse où il repose tué là, cet après-midi. Devant cette tombe, s’aligne sans hésitation la compagnie de relève ; puis elle s’enfonce dans le rempart de terre blanchâtre. Au-delà s’allonge, entre les lacs, une chaussée. Là-bas, elle s’efface dans les bois. Minée en plusieurs points, par les Belges et les Wurtembergeois, elle porte néanmoins, au milieu, les avant-postes des deux partis terrés. Une escouade se faufile contre les arbres qui la bordent. Le calme partout s’affirme. Du silence règne sur le décor de ciel et de lagunes azurés, d’îles blondes, de boqueteaux épars. C’est la face trompeuse de la paix. Vingt mille yeux, là, guettent lu moment propice à notre mort. Des jumelles nous visent quand nous redescendons, en évitant les trous des paliers, en trébuchant sur les planches des escaliers, en escaladant les monceaux de plâtras, en sortant sur les rails tordus.

Donc, après le ballast, la tranchée s’ouvre dans le rempart de terre. Au-dessus du portail, que bastionnent des sacs pleins une enseigne d’ardoise arbore cette gracieuse inscription : Au Repos de la Reine. En effet, la reine Elisabeth de Belgique est venue là, sous le feu, réconforter ces bons garçons en capotes brunes, en bérets ronds, en leggins gris. Le fusil au poing, ils saluent la crânerie de notre infirmière, seconde visiteuse de leur gîte. Malaisément, elle s’insinue dans ce boyau bas, obscur, que Rembrandt eût aimé peindre tout en ombres, avec des figures subites, rougies par le feu d’un poêle minuscule, par la lueur minime d’un bout de chandelle. Accroupis ou sur le flanc, les soldats veillent près d’une mitrailleuse à trépied. Le col de la bête dépasserait l’oculaire creusé dans la glaise pour crachoter cent balles à la minute contre tout mouvement suspect parmi la nuit. Le sergent lit et commente un journal de caricatures. On riait quand nous nous sommes introduits. Les soldats nous invitent. Ils nous font place. Les complimens de notre infirmière leur plaisent. « Vous savez : notre Reine, elle est venue ici avant vous ! » lui disent-ils, pour que la Française