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Une marmite l’a brusquement écrasé. Ce que confirme le capitaine. Il revient de la tranchée. Assurant le binocle sur un nez mince, et s’enveloppant mieux de sa pèlerine, il souhaite une place dans la voiture. Frileux et las, il voudrait, au plus vite, regagner son cantonnement de Coxyde. C’est un petit monsieur agile, plus civil que militaire, arraché subitement à quelque administration, sans doute, par les exigences de la guerre. Autour de lui, ses lieutenans, ses ugens de liaison causent avec l’aisance de personnes sortant indemnes de la bataille, une fois encore, et qui vont enfin respirer, loin des obus, sous un toit entier.

Chose impossible dans ce Nieuport en décombres. Tant de greniers y furent précipités au fond des caves avec les étages intermédiaires ! La plupart des toits, dépouillés de leurs tuiles, laissent voir le ciel à travers la claire-voie des lattes et des chevrons. Des escaliers gisent au milieu des chaussées avec les débris des façades qui les entraînèrent dans leur chute. Il y a des maisons crevées au centre, mais qui gardent intacts les deux murs de côté supportant des quarts, des moitiés de chambres, avec une partie de leurs meubles, lits, armoires à glace, chaises, buffets au bord des planchers rompus. Éclatant au milieu de la rue, un obus éventra cette boutique où pêle-mêle s’entassent les plâtras, les comptoirs et les casiers.

Largement sapée sur le flanc, ajourée, ébréchée a la base, n’ayant plus que le haut d’indemne, voici la tour où se tenait le capitaine d’artillerie Quinton dirigeant le feu de sa batterie. Le savant biologiste qui nous apprit la persistance en nous du milieu marin primitif et de ses influences sur notre vie présente, a vu, dans cet observatoire trop visé par les canonniers allemands, s’affaisser tour à tour ses plus vaillans seconds. Presque seul, le grand chef blond resta dans l’avalanche des murs et des plafonds, sa jumelle aux yeux, pour rectifier, par téléphone, le tir de ses pointeurs, pour faciliter, de son mieux l’avancée, rue par rue, de nos fusiliers marins, de nos zouaves, de nos territoriaux, lesquels méritèrent bien, ici, d’échanger leur appellation pacifique contre le noble titre de grenadiers.

La froide clarté de la lune entre et rayonne par les brèches de la tour debout sur la base à demi tranchée. Evoquez l’épouvantable fracas de ces bombardemens, et, sur votre tête, la stridence de l’air que pénètre la vitesse tournoyante de l’obus, ces vacarmes pareils à ceux du train express refoulant