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humaines, que cette église de Nieuport en ruines. Hors des décombres, entre les croix sur les tombes fraîches, les arceaux s’élèvent, brisés à la voussure, et, partout, mordus par le passage des balles. Pour voûte ils n’ont que le halo de l’astre, l’azur cendré de l’espace. Personne que les cadavres sous leurs mottes. Des vitesses passent, murmurent, sifflent, bourdonnent, grincent on éraflant la pierre qui s’effrite et s’égrène dans la solitude Le jubé git en morceaux parmi ses pilastres effondrés. Tout l’esprit des siècles qui conçurent l’église achève de périr. Le portique lâche ses pierres, une à une. Ainsi le hêtre sème ses feuilles d’automne. On demeurerait assis, éternellement, comme dans la mort, déjà. Que de rages se sont éteintes ici, tout près, plus loin ! Que de fureurs se sont métamorphosées en courages et en forces victorieuses !

Coup sur coup, nos canons tout proches broient l’atmosphère qui dehors, quatre fois, flambe et s’éteint. Les fusils assènent leurs claques brèves dans la clarté de la nuit. Vers la fin de la perspective, il y a une prairie argentée, un filet de métal tendu dans les herbes et qui scintille faiblement, une éteule humide. Tout au loin, dans la buée, une longue crête d’humus ; cela, sans doute, qui, de temps en temps, pétille. De là s’envolent les essaims de ces vitesses qui murmurent à distance. Elles sifflent près de nos oreilles. Elles font vibrer l’air au-dessus de nos têtes. Elles cassent net des briques, écornent des moellons, puis, dans l’espace, bourdonnent, se taisent.

Invisible une force brusque a brisé l’arbre à deux mètres du sol. Les branches griffèrent en s’affaissant les pierres des ruines. Des échardes aiguës se dressent sur le tronc. Ici, quelques jours plus tard, comme il marchait avec M. de Lanux et le médecin-major des fusiliers marins, en quête de blessés, notre compagnon de la Croix-Rouge, M. Chopart, sentit la terre frémir, les gaz d’une explosion fuir sous les talons soulevés. Un obus s’irradiait en flammes fumeuses, étouffantes, en éclats trouant les façades, brisant, les vitres, éparpillant les plâtras. Près de s’abriter dans la maison voisine, les Croix-Rouges furent atteints par les débris, aveuglés par les poussières que projetait en tous sens l’expansion d’un deuxième obus, en cette maison même. Inquiets de leur compagnon, ils le découvrirent à leurs pieds, étendu. De la nuque au cœur béant et saignant, un brin de fer avait traversé la poitrine, rompu l’épine dorsale. Ce fidèle