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Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/625

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sauveteur de nos soldats n’était plus, dans son manteau lacéré, rougi, qu’un mince fantôme, aux yeux fixes, que le souvenir d’un brave méritant les honneurs militaires rendus, le surlendemain, à son cercueil par la brigade.

Des balles ont tué ceux qui ne savent plus de souffrance, en leur petit talus de terre et de cailloux, sous leurs croix de planches courtes, arrondies aux trois bouts. Leurs esprits assistent-ils à ce qui continue de leurs haines, de leurs espoirs, de leurs bravoures, ici, par cette nuit d’argent bleuté ? L’essentiel de leurs existences, ce fut l’amour national de la liberté, le sens de l’honneur individuel, la fierté d’être les fils glorieux de la Révolution ou de l’Empire, ou de l’Église catholique. Tout cela, le principal de leurs êtres, survit et lutte, sous l’apparence de leurs frères, parmi les débris de Nieuport. — Qu’est-il donc mort ? — Peu de chose. — De la chair, des sens. — Et encore beaucoup subsiste du rire gaulois que les défunts enseignèrent à leurs compagnons, des amours qu’ils contèrent et qui persistent dans les mémoires, des ripailles qu’ils promettaient et que des appétits pareils attendent. — Qu’est-il mort ? — Rien que des gestes provisoires et des moyens passagers. Ils exprimaient la même foi, le même patriotisme, les mêmes idées vigoureuses, la même puissance des sentimens aïeux, le même vœu de triomphe, tout ce qui combat, tout ce qui crépite encore avec ces fusils, tout ce qui tonne encore avec ces canons, tout ce qui s’accumule en silence dans les ombres avec ces hommes prêts à bondir. Au-dessus de ces tombeaux, la nation se perpétue plus victorieuse que la mort.

Cette présence de l’immortalité nationale, parmi les arceaux rompus, et les cris de l’air transpercé ! Il faut penser cela dans une ville en décombres, plus belle, peut-être, parce qu’elle témoigne ainsi d’un cataclysme grandiose, et des terribles pouvoirs acquis par le génie de l’homme. La forêt, de même, atteint, en automne, l’apogée de sa splendeur quand elle commence à répandre ses feuilles d’or et ses feuilles de bronze.

Autour, en cette zone mal abritée, nul d’ordinaire ne se hasarde. Elles sont muettes, closes, les maisons de la rue qui devient, ici, la route. La route vide, nue, toute droite entre les champs argentés, sous la trajectoire des forces tuantes qui bruissent, qui froissent ou broient en rugissant la résistance de l’air.


PAUL ADAM.