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ses confidences, mais les argumens solides et irrésistibles dont il avait appuyé la plus grande partie de ses griefs avaient fait sur moi, écrit le célèbre polémiste, une impression profonde. »

Gentz savait en outre que le prince Louis de Prusse, dont nul ne contestait la bravoure audacieuse, avait, par une ardeur juvénile et intempérée, poussé à cette guerre dont il prédisait le succès incontestable. Les courtisans et les officiers parlaient de même, et tant de confiance inquiétait Gentz qui regrettait une levée de boucliers inopportune. Le moment ne lui semblait pas en effet bien propice, car la Prusse, en guerre avec l’Angleterre et la Suède, devait prévoir « que l’Autriche ne s’exposerait pas à de nouveaux dangers pour partager les premiers coups d’une guerre qui semblait tomber des nues. »

Il savait encore que la Russie se trouvait trop affaiblie pour y coopérer. « La Prusse, n’ayant même pas invoqué ce secours assez tôt pour en jouir à l’ouverture de la campagne, se précipitait presque seule dans une arène où tant d’autres avaient succombé avant elle. » Le mérite politique de l’expédition lui paraissait des plus critiquables. Quant au point de vue militaire, il reconnaissait que le prince Louis, le prince de Hohenlohe, le général Grauert, le comte de Tauentzien, le comte Gœtzen étaient des officiers de valeur commandant à des troupes excellentes. Mais les aveux de Kalkreuth avaient rapidement diminué cette confiance, et Gentz commençait à s’effrayer.

A Erfurt, il apprit que le duc de Brunswick dirigerait en définitive les grandes opérations, secondé par Moellendorf, Kalkreuth, le prince d’Orange, Schmettau, le duc de Weimar, l’électeur de Hesse, Ruchel, Blücher, le prince Louis, Tauentzien et Grauert. L’armée s’élevait à environ 170 000 hommes. La réserve était confiée au général Lecoq et au prince Eugène de Wurtemberg.

Au dîner que lui offrit le comte Haugwitz, Gentz retrouva Lucchesini qui le reçut avec une sorte de tendresse. Le dîner fini, Haugwitz chambra Gentz pendant près de trois heures et lui dit à brûle-pourpoint qu’il s’agissait de gagner son opinion et celle de l’Autriche en faveur de l’entreprise actuelle. Il se défendit de toute duplicité envers l’Autriche et dit avec une belle franchise : « S’il a jamais existé une Puissance que nous ayons eu l’intention de tromper, c’était la France. La nécessité nous en avait fait la loi… » C’est la propre déclaration faite tout