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inférieur à sa tâche et ne prévoyait pas que l’armée prussienne serait en peu de temps tournée par sa gauche et écrasée, sans qu’elle eût le temps de réunir ses morceaux épars. Contre un ennemi agile, entreprenant, familiarisé avec la victoire, rien de précis n’avait fêté arrêté. Le prince de Hohenlohe aurait dû, et cela était possible encore, se porter vigoureusement le 8 octobre en avant pour occuper, les principaux passages et défendre avec succès l’entrée de la vallée de la Saale. Il n’y songea même pas.

Haugwitz revint trouver Gentz et lui demanda d’écrire à Vienne. Gentz refusa clairement, sous prétexte qu’il était trop préoccupé de ce qui se passait pour écrire des lettres. Haugwitz le pria ensuite, au nom du Roi, de rédiger une Proclamation à l’armée et à la nation prussienne, et même, — détail bien curieux ! — une Prière pour être récitée dans les églises, ce qui parut à Gentz assez bizarre.

Gentz vit ensuite le duc de Brunswick et trouva dans sa manière d’être et dans son langage quelque chose de louche et d’impuissant. « Il y avait, dit-il, dans sa manière d’être, dans sa contenance, dans ses regards, dans ses gestes, dans son langage qui n’annonçait rien moins que la conscience de ses forces, un genre de politesse qui semblait demander pardon d’avance des revers qui devaient arriver. » Le duc lui fit des complimens qui l’impatientèrent furieusement, puis il parla de la guerre en homme qui n’aurait rien eu de commun avec elle et dit qu’il était certain du succès, « pourvu qu’on ne fit pas de grandes fautes. » Gentz crut devoir répondre qu’on n’en ferait pas sous sa direction, mais Brunswick répliqua « Hélas ! je puis à peine répondre de moi-même… Comment voulez-vous que je réponde des autres ? » Après cette conversation, Gentz se livra à de sombres réflexions sur un très prochain avenir.

Il se sentit un peu plus rassuré quand il eut vu la Reine et eut causé avec elle. Il lui trouva une fermeté, une énergie, une mesure et une prudence qui l’auraient enchanté chez un homme d’État. Elle lui demanda son opinion sur la guerre et sur les hommes qu’il avait vus. Gentz appuya courtoisement sur la confiance de l’opinion publique, sur les dispositions favorables des contemporains et sur les vœux de succès qui s’élevaient de toutes les parties de l’Allemagne. La Reine parut satisfaite ;