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cependant, dans tout ce qu’elle disait, on discernait un fond d’inquiétudes secrètes et de lugubres pressentimens. Elle avoua qu’elle s’était décidée à accepter les hostilités moins par calcul que par devoir. Elle croyait que le grand espoir de salut se trouverait dans l’union étroite de tout ce qui portail le nom allemand.

Au sortir de cette entrevue qui avait eu lieu le 9 octobre, on confia à Gentz que le général Tauentzien avait repoussé les Français qui, dans leur attaque de Hof à Schleitz, auraient montré « une certaine timidité. » Quoique en réalité cette affaire ne fût qu’un engagement sans portée, Haugwitz voulut en faire un bulletin destiné aux cours de Berlin, de Dresde, de Vienne, de Saint-Pétersbourg et de Londres. On l’en dissuada, mais Haugwitz résolut pourtant d’envoyer un courrier à Dresde, porteur de cette heureuse nouvelle.

D’autres instances furent faites en ce moment auprès de Gentz pour l’engager à solliciter le concours de Vienne. Gentz refusa encore une fois, déclarant franchement qu’une lettre, datée d’Erfurt, n’aurait pas l’air de liberté et de sécurité qu’il lui faudrait pour produire son effet. Toutefois, il consentit à rédiger une proclamation aux troupes que le Roi ne trouva pas assez populaire, car, suivant lui, elle n’était pas de nature à agir aussi bien sur les soldats que sur les chefs. Gentz essaya d’arranger la proclamation que le Roi revit lui-même et cribla de telles annotations que Gentz en laissa la responsabilité finale au comte Gœtzen. Il en résulta que cet ouvrage, malgré sa bigarrure et ses imperfections, aurait pu avoir quelque utilité, si la marche rapide des événemens ne lui avait pas enlevé le temps nécessaire pour être répandu.

Gentz revit alors le général Kalkreuth qui ne retira aucune de ses tristes prédictions. Ayant ensuite conversé avec Lucchesini, il convint avec cet ancien ambassadeur que le Roi, placé entre un général aussi incapable que Brunswick et un ministre aussi irrésolu que Haugwitz, allait tout droit aux pires aventures. Il fallait s’attendre à un nouveau changement de système, surtout en cas de revers. « Oh ! pour cela, non, dit Lucchesini, le Roi ne peut plus retourner sur ses pas. Le mouvement général l’entraîne. La Prusse a perdu la confiance de l’Europe ; elle ne peut la reconquérir qu’à coups de canon. Si, sans entrer en guerre, elle avait fait des propositions à ses voisins, personne ne l’aurait