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plus puissant de l’Italie. De nombreux succès, remportés, il est vrai sur le petit théâtre où se font et se défont les combinaisons parlementaires, avaient mis la Chambre dans sa main et il semblait par-là tenir le pays lui-même. Mais il n’est pas l’homme des grandes circonstances et celles qui sont survenues l’ont été trop pour lui. Nul n’est plus adroit à manœuvrer entre les partis, à leur donner à tous des satisfactions partielles et successives, à faire les petites affaires des hommes qui les composent, à assurer leur élection par des procédés dont il n’a pas le secret, car ils sont très connus, mais dont il use mieux que personne. Il est obligeant et a beaucoup d’obligés, mais, entre eux et lui, le lien de la reconnaissance ne saurait résister à une tension un peu forte et celle qui s’est produite aurait brisé les câbles les plus solides. Si M. Giolitti avait été un autre homme, il aurait alors suivi le mouvement et même il en aurait pris la direction Malheureusement il n’a pas mieux compris son intérêt que celui du pays. Depuis plusieurs semaines, il avait quitté Rome ; il y est revenu au dernier moment, comme s’il avait cru que sa présence seule allait tout changer et qu’il lui suffirait de dire : Me voilà ! pour que tout l’échafaudage politique construit en dehors de lui s’effondrât aussitôt. Au premier moment, les apparences lui ont donné raison. Le monde a assisté à un spectacle singulier, bien fait pour mettre dans les esprits de l’hésitation et du trouble. Toutes les portes se sont ouvertes devant M. Giolitti. Il a eu de longs conciliabules avec le Roi et ses principaux ministres. L’opinion s’en est émue et bientôt elle s’est déchaînée avec une violence extrême ; les amis de M. Giolitti ont été menacés ; sur plusieurs points de la péninsule, l’ordre a été gravement troublé. L’orage a grondé avec un bruit plus redoutable encore, lorsqu’on a appris que M. Salandra avait donné sa démission au Roi. L’Italie avait mis sa confiance et ses espérances dans ce ministre qui, depuis le commencement de la crise, avait montré tant de prévoyance et de sang-froid. Allait-il vraiment disparaître ? Allait-il céder la place à M. Giolitti ? Allait-on avoir un ministère de conciliation et de transaction, au moment où le pays avait plus que jamais besoin d’une politique énergique et allant droit au fait ? Une telle défaillance aurait été une abdication. Nous sommes convaincu que le Roi n’en a jamais eu l’idée ; mais, pour éclairer la situation, il devait consulter quelques parlementaires éminens et il y a procédé. C’est ainsi qu’il a fait appeler M. Marcora, le vénérable président de la Chambre, un héros de la grande époque. De toutes ces consultations est résulté le maintien au pouvoir de M. Salandra, et l’Italie a respiré.