Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/746

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans le courant de l’après-midi, le discours de l’Empereur au Reichstag convia les représentans de la nation à l’aider à soutenir victorieusement une guerre imposée à l’Allemagne ! Guillaume II ne faisait aucune allusion à la violation de la neutralité belge, mais il appelait sur ses armées la protection du Très-Haut, son confident habituel. Le chancelier prit ensuite la parole ; plus sincère qu’il ne l’a été depuis lors, il reconnut sans hésitation le tort injustifié fait à la Belgique, et promit de le réparer, après que le but militaire aurait été atteint.

Je ne m’étais pas trompé cependant, lorsque j’avais prédit à M. de Jagow une guerre avec l’Angleterre, garante de notre neutralité. Le même soir, je dînai seul au Kaiserhof, en proie, — on se l’imagine, — aux plus sombres pressentimens. Au sortir du restaurant, je croisai un automobile du Berliner Tageblatt qui me jeta une poignée de feuilles imprimées. J’y lus, en admirant la rapidité avec laquelle ma prédiction s’était réalisée, que la Grande-Bretagne avait déclaré la guerre à l’Allemagne et que son ambassadeur avait remis, peu d’heures auparavant, un ultimatum au gouvernement impérial. Il me vint aussitôt à l’esprit de courir à l’ambassade, pour obtenir quelques éclaircissemens sur cette grande nouvelle. Etait-ce donc ainsi que la Providence répondait aux invocations de son favori ?

La partie de la Wilhelmstrasse où est situé l’hôtel du gouvernement britannique était remplie de monde. Des bourgeois et des bourgeoises, convenablement habillés, hurlaient avec fureur leur chant préféré, Deutschland uber alles ! A l’hymne national succéda une bordée de sifflets, puis une grêle de projectiles, morceaux de briques ou de charbon, les seules pierres à ramasser dans les rues asphaltées de Berlin. Les vitres du rez-de-chaussée de l’ambassade volèrent en éclats, sous l’œil complaisant de deux agens de police, postés de chaque côté de la porte. J’en avais vu et entendu assez. Tandis que je m’acheminais vers ma demeure, un rayon d’espérance se glissait dans mon cœur torturé d’angoisse et de douleur, car j’apercevais, surgissant au bord de l’horizon ensanglanté, le visage menaçant de la Némésis britannique.