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s’assurer la route interocéanique de la rivière San Juan et des lacs nicaraguéens, tracé depuis longtemps proposé pour la construction d’un canal isthmique : par l’histoire récente de Panama, on peut imaginer sans témérité que ces enfans perdus n’étaient qu’une avant-garde du gouvernement de Washington ; mais ils ne réussirent pas ; les citoyens de Guatemala, Nicaragua et surtout Costa Rica, oubliant un instant leurs discordes, se concertèrent ; Walker fut traqué, finalement pris et fusillé (sept. 1860) ; un monument, dû au ciseau du sculpteur français Carrier-Belleuse, est élevé aux héros de cette guerre d’émancipation à Cartago, l’une des capitales de Costa-Rica. Aussi bien, est-ce le seul témoignage de sympathie qui soit venu d’Europe à l’adresse de ces défenseurs des libertés centre-américaines. Jamais aucune Puissance occidentale n’a exprimé sa surprise de voir la doctrine de Monroe largement interprétée par les États-Unis : la France, mal engagée au Mexique, n’a même pas discuté les observations par lesquelles le Cabinet de Washington l’invitait à battre en retraite ; les Anglais s’étaient montrés fort accommodans, lorsqu’en 1814 fut tracée la frontière orientale du Canada : ils laissèrent les États-Unis pénétrer entre les provinces maritimes et celles du Saint-Laurent par l’arrière Maine ; après la guerre de Sécession, ils acceptèrent le règlement arbitral réclamé par Washington, qui leur imposait une lourde indemnité pour complicité avec des corsaires du parti sudiste ou confédéré.

Les Yankees sont donc, par une sorte de consentement de l’Europe, fondés à regarder toute l’Amérique comme un territoire à eux réservé ; la première revendication de Monroe passe ainsi à l’état de principe de droit international, mais seulement par un aveu tacite, et faute d’oppositions déclarées. Ceci n’a pas empêché les États-Unis de porter leur activité hors d’Amérique, malgré les conseils du fondateur de la Confédération, et ceux de Monroe lui-même. En 1848, le président Taylor envoyait un agent aux Hongrois révoltés contre l’Autriche ; un de ses successeurs s’intéressa de même aux insurgés de l’île de Crète. En 1853, le commodore américain Perry prit l’initiative d’obliger le Japon à s’ouvrir au commerce étranger ; à peine la Californie entrait-elle dans la voie de son essor contemporain, et déjà les États-Unis préparaient leur progrès économique dans le monde du Pacifique. La convention de 1867, par laquelle ils achètent