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doctrine de Monroe : l’éminent juriste argentin Luis-Maria Drago avait exprimé l’avis que le recours à la force était inadmissible, de la part d’une Puissance européenne, pour contraindre une autre Puissance, visiblement plus faible, à exécuter ses obligations financières vis-à-vis de ses créanciers. Ainsi était condamnée, au nom d’une extension de la doctrine de Monroe, l’intervention des Anglais, Allemands et Italiens contre le Venezuela. Qu’il y ait quelque chose d’attristant pour l’humanité, dans le spectacle d’une flotte de cuirassés bloquant, voire bombardant des ports inoffensifs, menaçant des propriétés et même des vies pour obtenir le paiement d’intérêts en retard, personne ne le contestera ; mais des pratiques de coercition sont courantes dans le droit privé et l’on peut se demander comment y suppléer sans employer la force dans le cas de débiteurs auxquels leurs engagemens internationaux pèsent aussi peu qu’au président Castro. De plus, cette interdiction nouvelle, opposée à l’Europe, fait une obligation symétrique aux États américains, soit de réformer eux-mêmes leurs finances, s’ils ne veulent pas se couper tout crédit, soit d’accepter la tutelle fiscale de conseillers étrangers, — c’est-à-dire, en l’espèce, de Yankees. Cette conséquence de la « doctrine de Drago » nous paraît inéluctable ; et nous saisissons ici la transition d’une diplomatie américaine purement monroïste à celle qui méritera si justement le nom de « diplomatie du dollar. »

En attendant de faire les premières applications de cette nouvelle formule, les États-Unis ont repris leurs procédés mexicains et cubains pour s’emparer de la zone du canal de Panama. Qu’une voie de communication moderne à travers l’isthme, canal ou chemin de fer, pût être établie hors de leur contrôle, c’est ce qu’ils n’ont jamais admis. En 1836, le roi Guillaume de Hollande, qui avait une remarquable vocation d’homme d’affaires, abandonna l’idée d’un canal de Nicaragua, pour ne pas porter ombrage à la patrie de Monroe. En 1850-55, ce sont des Nord-Américains qui construisent le chemin de fer de Colon à Panama. En 1850, les États-Unis, craignant un établissement des Anglais sur la côte du Honduras, en un point où pourrait déboucher un canal isthmique, ont signé avec l’Angleterre le traité Clayton-Bulwer qui place toute future coupure interocéanique sous la commune protection des deux contractans. S’ils laissent, ensuite, la France s’accorder avec