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gendarmes des créanciers internationaux d’une partie de l’Amérique. A-t-on mesuré les répercussions politiques, militaires, de ces démarches impérialistes ? Est-il prudent, pour une administration qui aperçoit et qui redoute les dangers des trusts, de mettre ainsi son action extérieure au service d’intérêts impérieux, qui ne sont pas toujours exactement des intérêts nationaux ? Mais sans doute le moment n’est pas venu de ces méditations. Actuellement remis de la crise qui les atteignit en 1908, moins touchés encore que les pays d’Europe par la dépression qui suivit, servis par la guerre qui ensanglante l’Europe, les Etats-Unis s’épanouissent dans l’allégresse d’une période d’orgueil. Comment s’en étonner ? Ils sont une magnifique nation de cent millions d’habitans, entraînée par l’universelle pratique du strenuous life ; ils achèvent, à Panama, une œuvre de géans, une retouche de main d’homme à l’architecture de la planète ; aucune défaite, aucun avertissement même ne leur a suggéré le sens des limites qui s’imposent à toute croissance ; ils se demandent pourquoi la chaleureuse unanimité de toutes les Puissances civilisées ne ferait point cortège au triomphe qu’ils escomptent de leur Exposition de San-Francisco.

A l’apogée de cette courbe, ils ne voient plus le reste du monde ; ils prononcent un régime différentiel pour le transit par Panama ; le sénateur Lodge fait voter une motion de défiance contre les étrangers, qui est une sorte d’exaspération de la doctrine de Monroe ; le président Wilson lui-même, dans un des premiers discours de sa magistrature, semble prendre a tâche de provoquer les capitalistes européens. Le canal de Panama, si l’on en croit les champions de l’impérialisme yankee, doit servir essentiellement des intérêts stratégiques nord-américains ; pour l’amiral Mahan, belliqueux théoricien du Sea Power, il est l’instrument irrésistible d’une prépondérance navale rayonnant tour à tour sur l’Atlantique et le Pacifique ; les États-Unis sont qualifiés, puisqu’ils en ont fait les frais, pour en disposer suivant ce qu’ils jugeront convenable. Ils le fortifieront et en défendront les abords ; ils l’aménageront en point d’appui de leur flotte de guerre, avec arsenaux, bassins de radoub, dépôts de charbon et de pétrole. Ils en régleront à leur gré l’usage commercial : un navire yankee allant, par le canal, de New-York à San-Francisco, peut être assimilé à un caboteur, qui n’a jamais quitté les eaux territoriales, il est donc naturel