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IMPRESSIONS D’UN COMBATTANT

NOTES DE ROUTE
IV[1]

Est-ce à cause du soleil qui, pour la première fois, depuis longtemps vient égayer d’un pâle sourire ce mélancolique pays des marches de l’Est ? Je ne sais, mais ce matin, après le bon débarbouillage dans le seau de toile réglementaire qui me sert à la fois de cabinet de toilette et de citerne, je me sens plus léger, plus alerte que jamais. J’ai eu pourtant en dormant un cauchemar horrible, et heureusement très rare : j’ai rêvé qu’il y avait la guerre et qu’un fou couronné, persuadé par quelques magisters à lunettes, voulait, par le moyen de quelques millions de valets de boucherie, enchaîner la libre et douce France, la France ailée, à son char pesant et grossier. De ce rêve affreux mon somme fut tout bouleversé et aussi la paillasse où nuitamment je gis. C’est étrange comme, dans le rêve, notre sensibilité s’hyperesthésie ; il semble que nous nous y retrouvions tel qu’au temps où, jeunets et la besace pleine d’illusions, la rude réalité n’avait pas encore crispé nos nerfs trop tendres et mis autour de nos cœurs cette peau épaisse que forment en se cicatrisant les plaies.

Donc, j’ai rêvé de cette chose atroce, la guerre, et le réveil me fut doux, car si par lui l’abominable vision devient la réalité,

  1. Voyez la Revue des 15 septembre et 1er novembre 1914 et du 15 mars 1915-