Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si je devais résumer d’un mot le caractère de cette guerre, je dirais qu’elle est une partie de cache-cache. Tout le long de l’étroite ligne de tranchées qui court de la mer du Nord à la Suisse, et qui sépare comme un mince trait de couteau ce que nous aimons et ce qui nous fait horreur, les adversaires sont en effet si rapprochés l’un de l’autre et leurs engins sont d’une telle précision qu’il n’y aurait plus depuis longtemps ni armée française, ni allemande, si les uns savaient exactement où sont les autres, où sont leurs canons, où sont leurs cantonnemens, où et à quelle heure passent leurs convois de ravitaillement. Si le combat n’a pas encore fini faute de combattans, c’est que ceux-ci ont admirablement appris l’art de jouer à cache-cache.

Les essentiels problèmes que l’on se pose de l’un et de l’autre côté de la barricade dans cette interminable guerre d’affût sont donc les suivans : Comment bien dissimuler notre infanterie, tout en sachant où est celle des autres ? Comment bien dissimuler notre artillerie, tout en repérant l’artillerie adverse ? En un mot, comment avoir pour notre tir de bons objectifs en évitant d’en fournir au tir ennemi ?

Le premier problème à résoudre a été celui du costume et des insignes. On l’avait un peu négligé avant la guerre et au début de celle-ci, lorsqu’on imaginait encore, hypnotisé par les souvenirs napoléoniens, qu’elle aurait le caractère d’une lutte franche en terrain découvert, où l’on combattrait les yeux dans les yeux, le drapeau déployé, les galons et les cuivres étincelant au soleil. Il y avait bien eu, assurément, une certaine guerre anglo-boer dans laquelle nos amis anglais avaient reconnu, pour éviter de trop sanglans sacrifices, la nécessité d’une tenue couleur de terre ; il y avait eu aussi une certaine guerre russo-japonaise dont les enseignemens à cet égard avaient été tels que l’armée allemande elle aussi avait adopté le kaki, ou plutôt un certain gris verdâtre pour sa tenue de campagne. Chez nous malheureusement, les choses n’avaient pas été aussi vite. On sait ce qu’il nous en a coûté au début de la campagne, et comment notre corps d’officiers en particulier, dont les galons étincelans formaient une cible pour les bons tireurs ennemis, a été cruellement décimé d’abord, à cause de notre répugnance à