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l’amour du faste, l’ambition, le désir de dépasser le voisin, ne s’y mêlèrent jamais, ce serait une affirmation d’une psychologie bien enfantine ; mais les bonnes actions sont comme les sirènes, il ne faut voir ni les motifs des unes, ni la queue des autres. Ceci prouve du moins que les peuples modernes n’ont point innové en fait de patriotisme local.

A côté du patriotisme d’Etat et du patriotisme municipal, ne pourrait-on ranger celui des peuples primitifs, le patriotisme de la tente, de la tribu, auquel Voltaire fait allusion dans son Essai sur les mœurs des Nations ? « Y a-t-il une plus belle réponse dans les Grands Hommes de Plutarque que celle de ce chef de Canadiens à qui une nation européenne proposait de lui céder son patrimoine : « Nous sommes nés sur cette terre, nos pères y sont ensevelis. Dirons-nous aux ossemens de nos pères : Levez-vous, et venez avec nous dans une terre étrangère ! » Et cette éloquence semble toute naturelle et véridique, même en ce XVIIIe siècle où les philosophes avaient imaginé le roman du sauvage paré de toutes les vertus, en opposition à l’Européen gangrené par la civilisation.

Quoi qu’on ait pu dire, le Sénat d’abord, les Césars ensuite, à travers bien des vicissitudes et quelques défaillances, ont façonné, agrandi, maintenu la patrie romaine pendant douze cents ans ; ils ont assuré l’unité et la continuité dans la politique extérieure, ils eurent la plus claire, la plus grandiose notion de l’Etat.


Tu regere imperio populos, Romane, memento


La paix romaine, une paix relative, comme toutes les institutions humaines, a été le fruit savoureux de l’unité politique, administrative, juridique, réalisée par tant de grands hommes qui s’appliquèrent à détruire les barrières entre les peuples, à niveler les races, les familles, à répandre en tous lieux l’uniformité des lumières et des idées sociales, à développer, suivant les besoins locaux, le commerce, l’agriculture, les arts industriels : quelques-uns même tentèrent la fusion des cultes, l’unité religieuse. L’orgueil d’appartenir à la portion civilisée de l’humanité éclate alors à tel point, qu’on vit de grandes provinces, en état de conflit avec l’Italie, continuer de se réclamer du nom romain, et frapper sur leurs monnaies le type de Rome éternelle,