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esprit et de ses mœurs ; de la suite de ses grands hommes, de ses grands livres, de ses grandes actions ; une image géographique et morale de la patrie ; image si inséparablement liée à notre intelligence et à notre cœur, que l’idée de sa diminution ou de sa déchirure nous est douloureuse et même insupportable. »

JULES LEMAITRE.


La patrie est le domaine matériel et immatériel, acquis et transmis par les ancêtres ; la nation en est le propriétaire, l’Etat n’en est et n’en doit être que le régisseur.

PAUL DEROULEDE.


Certains auteurs distinguent deux sortes de patriotisme : le patriotisme physique, un amour presque physiologique, local, instinctif, matériel, amour de chair et d’os, ayant des racines dans notre cœur, sinon dans notre raison, fait avant tout d’habitudes personnelles ou séculaires ; un amour moral, basé sur le droit, la justice, sur la religion dans la cité antique, d’une essence plus noble que l’autre, créant aussi des devoirs plus rigoureux, plus étendus. C’est en ce sens, j’imagine, que Cicéron écrit : « Caton et tous les citoyens des villes municipales ont deux patries, une naturelle et une politique ; par exemple, Caton était né à Tusculum, et il reçut le droit de cité romaine… Ainsi, nous regardons comme notre patrie, et le lieu qui nous a vus naître, et celui qui nous a adoptés ; mais celle-là a des droits plus puissans à notre affection, qui, sous le nom de république, forme la grande patrie ; c’est pour cette patrie que nous devons mourir, à elle que nous devons entièrement nous dévouer, et faire en quelque sorte l’hommage et le sacrifice de tout ce que nous sommes. Mais la patrie qui nous a donné le jour n’en reste pas moins presque aussi chère ; aussi je ne renierai jamais Arpinum pour ma patrie ; mais Home sera toujours ma patrie par excellence, puisqu’elle contient l’autre. » Voilà, en somme, très bien établie, la [distinction des deux patries, la grande et la petite.

Fondement mystique, fondement historique, fondement naturel, telles sont les bases inébranlables de l’idée de patrie : et, par fondement naturel, j’entends les conditions nécessaires à la mise en valeur de l’individu par lui-même, la tyrannie impérieuse du pain quotidien, de la famille, de l’Etat constitué de telle sorte qu’il garantisse à chacun de ses membres un