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minimum de sécurité et de bien-être. Ainsi l’intérêt bien entendu, l’intérêt, « ce bon soldat, » comme dit Shakspeare, joue ici son rôle légitime, et l’on peut soutenir sans paradoxe qu’à ce point de vue positif, une patrie, une nation est une sorte de grande société d’assurance mutuelle. Il y a là quelque chose qui rappelle un peu les contrats innomés du droit romain : je donne pour que tu donnes, je donne pour que tu fasses. La patrie dit au citoyen : « Je te donne le sol, l’air natal assaini par les travaux de plusieurs générations, la douceur de vivre dans une atmosphère de bien-être, de charité, de paix, de bienveillance, les droits civils et politiques, la possibilité de gagner ta vie, de vendre, de négocier, d’hériter des tiens, de tes amis, de créer des livres, des œuvres d’art, des produits industriels et agricoles, de jouir en un mot de tout le capital idéaliste et matériel accumulé depuis des siècles. » Le citoyen répond : « Et moi, j’obéirai aux lois, je te paierai l’impôt d’argent, pour participer selon mes ressources et tes besoins aux dépenses d’intérêt général ou municipal ; je te paierai l’impôt du sang, je ferai partie de l’armée qui te personnifie, pour te protéger contre tes ennemis et défendre ton honneur qui est aussi le mien. »

Oui, une patrie est une histoire, une tradition, en même temps qu’un devenir, et notre histoire a beaucoup contribué à nous faire ce que nous sommes. « Grecs de Marseille ou d’Arles, Gaulois de l’ancienne Gaule, Romains de Nîmes ou de Narbonne, Flamands de Dunkerque et Basques de Bayonne, Celtes de Bretagne ou des monts d’Auvergne, l’histoire, en nous faisant les ouvriers de la même œuvre, a fait de nous la race française. Grâce à notre histoire, grâce aux épreuves subies en commun…, grâce aux exemples et aux leçons de quelques grands hommes, s’il y a dans le monde, pour user d’un mot à la mode, une patrie qui soit vraiment un organisme, je veux dire quelque chose de merveilleusement divers, d’harmonieusement complexe, et cependant de vraiment vivant, qui ne soit pas une abstraction, mais une réalité, mais un être, mais une personne, c’est la patrie française. Quelque partie qu’on en mutile, quelque lambeau qu’on en arrache, le temps a beau passer, la blessure saigne toujours. Depuis huit ou neuf cents ans, les mêmes mobiles généreux, les mêmes passions nous ont guidés ; nous les avons dans le sang, elles nous exposeront