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naguère Guillaume II et dont il avait raison, suivant le plus sûr germanisme, de se déclarer l’allié, tout de même qu’Adolf Lasson était conséquent avec lui-même en baptisant son souverain de « délices du genre humain. »

Cette divinisation de l’Etat, conclusion logique du matérialisme mystique dans lequel l’orgueil germanique s’est épanoui, l’est aussi de l’accaparement de la religion par la royauté, que favorisèrent un Prusse le sens de l’autorité et le goût de la discipline. Les successifs rois de Prusse aidèrent d’autant plus à cette évolution que le sentiment religieux est un puissant moyen de gouvernement. « Qu’est-ce qui donnera à tous les membres (d’une société) le zèle, l’activité, la loyauté, dans le service de la religion ? » demande, en 1783, Doederlein dans sa Bibliothèque théologique. Un bon gouvernement, estime le philosophe Jean-Georges Feder, « cherche à faire entrer le clergé dans ses sages intentions, qui visent l’avantage véritable de la religion et de l’Etat… afin de faire exécuter par ce moyen ce qu’il ne pourrait pas effectuer sans intermédiaire avec un égal succès. » L’Etat prussien, en conséquence, demande aux théologiens d’enseigner la doctrine officielle, tout en ne leur réclamant point d’y croire. Ce n’est pas de l’hypocrisie, affirme le professeur Ronnberg dans le commentaire qu’il écrivit de l’Edit de Religion de 1788 par lequel Frédéric-Guillaume II restaurait l’autorité des Livres symboliques : « Le vrai philosophe de la vie ne raffine point, assure-t-il, là où la loi exige soumission. Il obéit, et prouve ainsi qu’il mérite ce nom vénérable, en faisant ce que ses fonctions exigent. Donc, pense pourquoi ce que tu tiens pour vrai, mais ne trouble pas le peuple par tes doctrines. » Et il appuie : « Tu demeures un honnête homme, quand bien même tu enseignes contre ta conviction. » Kant n’avait-il pas enseigné déjà que, quoique ne reposant sur aucune donnée positive, la religion répond aux nécessités de la pratique ? La maintenir devient donc un devoir du souverain. De fait, au lieu de s’atténuer, la mainmise du pouvoir sur les Eglises ne fit que s’accentuer, au cours du siècle dernier, avec l’effondrement des croyances sous les coups de l’hypercritique. Il ne reste debout que le Dieu germain, autrement dit la race germanique incarnée dans l’actuel État allemand.